Biographie

Matthieu Ricard, né en France en 1946 et fils du philosophe français Jean-François Revel et de l'artiste peintre Yahne Le Toumelin, est moine bouddhiste, auteur de livres, traducteur et photographe. Après un premier voyage en Inde en 1967 où il rencontre de grands maîtres spirituels tibétains, il termine son doctorat en génétique cellulaire en 1972, et puis part s'installer définitivement dans la région de l'Himalaya où il vit maintenant depuis plus de 40 ans.

Propos recueillis par Khristophe Lanier

Bien connu du grand public en tant qu’interprète du Dalaï Lama, Matthieu Ricard est également actif pour la préservation de l’héritage tibétain et dans l’action humanitaire. Lors de sa venue à Lyon début 2004, il a bien voulu nous parler de ses travaux et de son action en faveur des populations déshéritées de la zone indo-tibétaine.

Question : Matthieu Ricard, on connaît votre engagement comme artisan d’un dialogue entre Orient et Occident, dans ce contexte vos livres avec le philosophe Jean-François Revel et l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan ont été de grands succès, mais vous contribuez également à la préservation de la culture tibétaine.

Réponse : Je fais de mon mieux dans ce sens, bien que mes efforts restent trés modestes. Au fil des années, j’ai eu l’occasion de m’occuper de la publication de plus d’une centaine de volumes de textes tibétains rares, pour le monastère de T.Tsétrul Péma Wangyal Rinpotché à Darjeeling, puis pour le monastère de Shéchèn, au Népal, où je vis maintenant. Ces livres ont été ensuite mis à disposition de nombreux monastères et bibliothèques, et aussi, mais plus difficilement, distribués au Tibet même. Parmi ces textes, figurent notamment les 25 volumes des écrits de mon maître Dilgo Khyentsé Rinpotché. Depuis 1991, nous avons également saisi une centaine de volumes tibétains sous forme digitale. A Shéchèn, nous avons également d’importantes archives et avons pu scanner prés de 12,000 photographies de miniatures et peintures tibétaine que j’ai eu l’occasion de photographier, principalement au Tibet. Nous avons également préservé 300 heures d’enseignements de Khyentsé Rinpotché, que j’ai eu la bonne fortune de pouvoir enregistrer. En hommage à Dilgo Khyentsé Rinpotché, nous avons publié un livre de photographies sur sa vie, L’esprit du Tibet (Seuil), et, plus récemment Himalaya Bouddhiste, avec mes amis Olivier et Danielle Follmi avec qui nous avons réunis nos trente ans de photographie dans l’Himalaya. J’ai fais aussi quelques traductions de textes tibétains, dans le cadre du Comité de traduction Padmakara, dont plusieurs enseignements de Khyentsé Rinpotché et la biographie de Shabkar ((1781-1851) publiée en deux volumes (Albin Michel).

Pouvez-vous nous parler un peu de ce grand yogi qui n’est pas très connu en Europe, contrairement à Milarepa ?

Il y a de nombreuses années, Khyentsé Rinpotché m’avait parlé de cette merveilleuse biographie, et Gene Smith, qui est sans doute le plus érudit des tibétologues de notre époque, m’avait aussi dit que c’était à ses yeux la biographie la plus passionnante de la littérature tibétaine. Fort de leurs conseils, avec quelques amis, je me suis lancé dans la traduction de cette riche et longue biographie (qui fait prés de 800 pages dans la traduction anglaise intégrale, la version française a du être abrégée faute d’éditeur prêt à la publier en entier !). Au Tibet, c’est sans doute la biographie la plus célèbre au Tibet après celle de Milarépa. Il s'agit du récit simple et émouvant de la vie d'un ermite itinérant, depuis son enfance jusqu'à son ultime réalisation spirituelle. L’une de ses principales qualité tient au fait que c’est une autobiographie, qui incorpore des récits et des poèmes écrits par Shabkar tout au long de sa vie et nous procure ainsi un éclairage intime et inspirant sur sa vie spirituelle. Tout comme Milarépa, dont il est considéré être la réincarnation, Shabkar dispensait ses enseignements, sous forme de chants. Il médita pendant de nombreuses années sur la petite île du "Coeur du Lac", située au centre du lac Kokonor, le "Lac Bleu" de l'Amdo, et dans d'autres lieux retirés, les Ravins de Tsari, le Mont Kaïlash et des glaciers de Lapchi. Yogi errant, il donnait ses enseignements à tous les êtres qu'il rencontra, des bandits jusqu'aux animaux sauvages. Ainsi que le disait Khyentsé Rinpotché: "Son histoire parfois émeut jusqu'aux larmes, parfois fait fuser le rire, mais par-dessus tout, sa lecture porte immanquablement porté vers le Dharma."

Parallèlement à vos différentes activités pour préserver l’héritage spirituel et culturel tibétain, vous êtes très engagé dans l’action humanitaire, Quel est votre mode d’action ?

Il me semble désirable en effet d’associer l’étude et la pratique du Dharma à une tentative d’action altruiste. Il faut essayer de soulager la souffrance des autres dans la mesure de ses moyens. Personnellement, je participe avec quelques amis proches à une action directe et indépendante sur le terrain au Tibet, avec le soutien de généreux et enthousiastes bienfaiteurs privés. J’utilise aussi mes droits d’auteurs pour aider Rabjam Rinpotché, l’abbé de Shéchèn, à accomplir divers autres projets au Népal et en Inde. Nous avons maintenant une trentaine de projets dans l’Est du Tibet, principalement des dispensaires et des écoles (dont une pour 700 enfants en Amdo, donc s’occupe mon amie Raphaèle Demandre), mais aussi des ponts, qui sont vitaux pour la sécurité et pour l’économie des nomades et de leurs troupeaux. Nous avons une structure très légère ce qui nous permet de limiter nos frais de fonctionnement à 1,5 %. Ainsi, 98,5 % des fonds collectés vont directement aux projets en question, ce qui est une grande satisfaction. Nous visitons les projets plusieurs mois par an et restons constamment en contact avec les responsables locaux, qui sont des personnes de confiance que nous connaissons depuis très longtemps. Nos atouts sont la connaissance de la langue locale et celle du terrain où nous voyageons depuis vingt ans.

Bel exemple dont certaines organisations humanitaires pourraient s’inspirer un peu pour baisser leur coût de fonctionnement !

Au Népal également, nous avons fait construire une clinique qui soigne 3000 personnes par mois, dont 50 % gratuitement. A Bodh Gaya, en Inde, nous avons mis en place une « clinique mobile », avec un mini bus, qui intervient dans plusieurs villages. Des soins sont prodigués dans les villages de basses castes, des endroits de misère. L’un d’eux s’appelle le « village de la souffrance » car toute la population est intoxiquée par le fluor qui se contamine l’eau. Mais les habitants ne peuvent pas trouver de terres ailleurs. Ils ont tous les os déformés. Nous essayons de creuser un puit très profond.

D’après vous quels sont les points positifs et négatifs de la situation au Tibet actuellement ?

On observe un certain regain du Dharma dans certaines régions en dehors de la « Région autonome du Tibet », notamment dans l’Est du grand Tibet, le Kham et l’Amdo, où de nombreux monastères sont reconstruits. Par exemple, sur les 160 monastères qui étaient affiliés à Séchèn, une trentaine ont été reconstruits. C’est encourageant car ce sont les seuls lieux où les jeunes générations peuvent espérer recevoir une éducation tibétaine authentique. Non seulement les études philosophiques, mais la littérature et la langue tibétaine. Mais globalement la culture tibétaine reste gravement en danger et l’éducation est un problème crucial. De plus, on sait que les droits de l’homme en général sont très peu respectés.

Un autre point très préoccupant est la santé publique. Dans la région autonome du Tibet le gouvernement donne une grande priorité à l’exploitation des ressources naturelles et au développement des voies de communication afin d’accélérer la colonisation. Ce choix se fait malheureusement au détriment de l’éducation et de la santé. Le budget de la médecine a baissé depuis 10 ans et le nombre des médecins a chuté de 15 %. Le coût de la santé a augmenté de 230 % en 15 ans et la situation sanitaire n’a cessé de se dégrader, il y a 10 % de mortalité infantile dans la première année de vie, et la moitié des enfants de moins de 7 ans souffrent de malnutrition. On observe aussi de nombreuses épidémies, dont la tuberculose et même la peste qui est endémique, bien qu’à petite échelle, sur environ un quart du territoire. (Voir le rapport du Tibet Information Network, TIN, sur la situation sanitaire au Tibet)

Revenons en Inde et au Népal, vous faites construire des stupas n’est-ce pas ? Quelle est votre inspiration ?

Effectivement, Shéchèn Rabjam Rinpotché fait en ce moment construire un stupa dans chacun des huit hauts lieux où vécut le Bouddha Shakyamouni en Inde et au Népal. C’était l’un des derniers vœux de son grand-père et maître spirituel, Dilgo Khyentsé Rinpotché. La construction de ces stupas est une œuvre spirituelle dédiée à la paix dans le monde. Nous avons également l’intention d’établir un petit dispensaire dans chacun de ses endroits. Goutte ou vague, ces contributions rejoindront l'océan des efforts déployés pour aider les autres et permettre la sauvegarde et la renaissance de la tradition tibétaine.

Paru dans la revue Dharma n°48 de avril 2004

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