Biographie

Ringou Tulkou ou Ringu Tulku est un grand maître de l'école Kagyupa du bouddhisme tibétain.
À la suite de l'invasion chinoise du Tibet, sa famille quitte le pays et se réfugie en Inde, en même temps que le 14e Dalaï lama.
À l'âge de 5 ans, il est reconnu comme la réincarnation de l'abbé du monastère de Rigoul par le 16e Karmapa, la plus haute autorité spirituelle de l'école Kagyupa, à laquelle appartient son monastère.
Docteur en philosophie bouddhiste, grand érudit, Ringou Tulkou a étudié sous la direction de différents maîtres appartenant aux 4 écoles du bouddhisme tibétain. Il a en outre reçu une éducation occidentale pendant plusieurs années.
Rinpotché passe actuellement environ six mois par an en Europe et y enseigne régulièrement dans un nombre croissant de centres appartenant à toutes les écoles du bouddhisme tibétain.
En France, il enseigne régulièrement au centre Kagyu-Dzong.

Propos recueillis par Khristophe Lanier

Lors d’un enseignement à l’Institut Karma Ling en juillet 2002, sur le "Précieux ornement de la Libération de Gampopa", Ringu Tulku a exposé les différents niveaux de confiance ou foi, et leurs relations avec la dévotion. Il a ensuite accepté de répondre à quelques questions.

Les trois degrés de la confiance

Lorsque nous disposons de la précieuse vie humaine et que nous désirons en faire un bon usage, nous développons bodhicitta, l’aspiration à l’éveil. Nous devons trouver ce qu’on appelle les dépas, c’est un mot difficile à traduire qui veut dire à la fois “inspiration”, “dévotion”, “confiance”, “foi”, c’est beaucoup à la fois.

 Le premier niveau de foi ou de confiance, est celle qui vient de l’inspiration, c’est ce que l’on ressent, par exemple, lorsque l’on voit un bouddha ou un grand être éveillé. Cela génère en nous une certaine inspiration, une forme de foi. Ce n’est pas vraiment la foi la plus complète, c’est une inspiration et ce mot, “dépa”, peut aussi vouloir dire ceOa. Parfois c’est bien d’utiliser les mots tibétains parce qu’il n’y a pas de traduction très correcte en anglais. Donc cette première forme de foi est une sorte de dévotion, on peut dire, un certain sentiment, une certaine inspiration que l’on ressent, par exemple, quand on reçoit des enseignements ou quand on lit un livre.

Il y a un deuxième niveau dans la foi, lorsqu’on a cette inspiration et qu’on va un peu plus loin. On a par exemple reçu des enseignements, on a lu des livres mais on n’est pas seulement inspiré, on veut devenir comme la personne, on la prend un peu comme un exemple.

Il y a ensuite un troisième niveau dans la foi : on a une certaine inspiration, puis on a commencé à étudier et à développer une certaine confiance dans les enseignements. On a développé une confiance très solide de tous les points de vue, on a pu examiner au point de vue intellectuel, au point de vue expérimental et on a développé une véritable foi. C’est celle qui vient à la fois de la compréhension et de l’expérience. Et cette foi là, elle est importante parce qu’elle est le fondement de la voie spirituelle.

Ces trois types de foi sont interdépendantes quelque part, l’une peut amener à l’autre mais ce qui est important, c’est d’arriver à ce troisième niveau qui est la véritable foi, la véritable confiance. C’est très important, ce n’est pas quelque chose que l’on peut fabriquer. On ne peut pas dire « Il faut absolument que j’ai de la dévotion, de la confiance ! » ce n’est pas quelque chose que l’on peut fabriquer, cela doit vraiment venir d’une compréhension, et plus la compréhension s’approfondit,plus cette confiance, plus cette foi s’approfondit.

Le disciple le plus important de Milarepa, celui qui était le détenteur de la lignée, était Gampopa. Quand il a eu reçu tous les enseignements, qu’il a pratiqué tous ceux-ci, que tout avait été donné, tout avait été transmis par Milarepa, comme on dit. Eh bien quand tout cela a été fini, Milarepa a dit à Gampopa, « Maintenant tu peux partir, tu dois même partir, va dans ton Pays » et là il dit, « Écoute voilà, quand tu arrives dans ton Pays, tu vas entrer en retraite, ne sois pas distrait, tu n’enseignes pas non plus, jusqu’au moment où tu obtiendras les résultats. Et comment vas-tu savoir que tu as atteint le résultat. Lorsque tu me verras comme un véritable bouddha,c’est que tu auras vraiment compris tous les enseignements et quand tu auras cette expérience et que tu me verras comme rien de moins que le véritable Bouddha,à ce moment-là, tu pourras commencer à enseigner. »Pourquoi parce que le Bouddha est celui qui a eu la véritable expérience du Dharma.

 Quand quelqu’un vous donne des enseignements, il ne peut pas vous transmettre l’expérience comme ça, elle doit venir de la personne mais quand on a finalement cette expérience, on voit l’enseignant comme un véritable bouddha.

Et bien, d’une manière similaire, quand la dévotion augmente, quand la foi augmente, c’est le signe de la compréhension. Donc plus on comprend, plus on a de la foi, c’est quelque chose qu’on ne peut pas forcer, la compréhension génère de la dévotion, de la foi dans les enseignements, qui eux-mêmes apportent plus de compréhension, etc. c’est donc un processus qui s’auto-alimente.

Cette confiance, cette dévotion est très très importante parce que si on ne l’a pas, on ne peut pas commencer le chemin. Donc il faut travailler pour ça et quand on a cette foi, il n’y a rien qui peut vraiment aller mal.

Il y a un texte qui dit, « Ânanda, s’il te plaît essaye de générer de la foi parce que c’est pour cela que le Bouddha prie pour ses étudiants ». Il est très important d’avoir cette foi totale qui vient de cette compréhension totale.

Parfois il est beaucoup plus difficile d’enseigner à des tibétains qu’à des occidentaux car ils sont bouddhistes et c’est tellement dans leur culture qu’ils n’ont plus de doute. Alors c’est assez simple, quand on enseigne. Au mieux ils vont dirent, “Ah merci, merci, c’est bien, merci” s’ils ne s’endorment pas et puis à la fin il n’y a aucune question mais en fait il n’y a pas de compréhension parce qu’ils acceptent trop et en plus certains mots sont devenus tellement familiers qu’on pense qu’on les comprend alors qu’en fait on ne les comprend pas vraiment. Donc tout ça n’est pas une véritable compréhension et tant qu’on n’a pas cette véritable compréhension, il n’y a pas grand chose qui peut arriver.

 En Occident c’est beaucoup plus simple parce que, quand on enseigne, les gens réfléchissent, ils ne prennent pas les choses comme cela et puis vous posez des questions, vous commencez à examiner et, à ce moment-là, la compréhension peut commencer.

La compréhension est en fait une forme d’expérience en elle-même.On n’est pas encore arrivé au niveau le plus profond de l’expérience, mais c’est notre premier niveau d’expérience et à partir de là, on peut aller plus loin. La compréhension doit aller très profondément, vraiment au plus profond de nous-mêmes.La compréhension est le premier niveau et doit fonder cette confiance, cette émulation, cette foi qui sont des éléments essentiels.

Question: Je voulais vous demander comment vous pouvez définir la dévotion?

Réponse: En fait ce qui est difficile, c’est que nous utilisons ici un mot tibétain et lorsque l’on traduit du tibétain en anglais, ça n’a pas toujours la même signification et cela peut apporter certaines significations. En tibétain, il y a le mot dépa qu’on a utilisé mais il y a aussi meuguqui est peut-être plus proche de la notion de dévotion. C’est plus ou moins la même chose que ce que nous avons vu pour la première forme de foi qui est une forme d’inspiration. c’est une inspiration très profonde, on se sent en fait profondément ému, touché. Alors on explique un peu certains symptômes: on pleure, on a des larmes, non pas de tristesse, on ne se sent pas mal mais des larmes comme ça qui viennent aux yeux, on a les cheveux qui se dressent sur la tête, en fait on se sent profondément touché dans le coeur. En fait c’est plus proche du fait d’aimer, d’apprécier,une forme d’amour et c’est plutôt ça qu’on appelle la dévotion.

Quelle différence faites-vous entre la confiance dans la perspective du dharma, et la foi, mot utilisé dans le christianisme ?

Du point de vue bouddhiste, la confiance vient de la compréhension, la foi vient de la compréhension. Nous pensons que si l’on n’a pas la compréhension on ne peut avoir la vraie confiance, la vraie foi - bien qu’il y ait une certaine sorte de foi émotionnelle,mais elle est considérée comme peu stable parce que vous pouvez avoir une foi émotionnelle, et c’est bien lorsque vous la ressentez, mais si quelqu’un pose une question ou soulève un doute, vous pouvez la perdre - alors que si elle repose sur la compréhension, elle est immuable.

L’expérience de la dévotion est-elle la même en Asie- au Tibet -et dans les pays d’Occident, où culturellement, c’est un mode d’être peu usuel ?

Je pense que ça l’était en Occident, autrefois : le christianisme se fonde sur la dévotion, la foi, la prière et que, de ce point de vue, c’est similaire. C’est une des émotions humaines les plus importantes, une émotion positive - pas comme la peur, la colère, l’attachement qui sont des émotions négatives -la dévotion est un sentiment très clair et fort, pas négatif. Elle naît de la confiance, de l’abandon, de l’inspiration. Vous voyez quelque chose d’inspirant, de sacré, alors vous ressentez cette dévotion. Lorsque vous ressentez la dévotion vous êtes libres d’un tas de concepts, de “discursivité”. Par là même, vous devenez moins “intellectuel” moins conceptuel, ce n’est pas une dispersion.Cela vient davantage du cœur, c’est plus unifié. C’est pour cela que la dévotion est considérée comme un très bon moyen de méditation : elle fait ressortir la clarté de la conscience mais pas l’esprit discursif, trop intellectuel, ou conceptuel.

C’est pourquoi les méditations comme Mahamudra, Dzogchen, sont beaucoup basées sur la dévotion, ces expériences ne peuvent venir que de la dévotion, sont considérées comme un moyen très adéquat à partir duquel la méditation peut se produire.

Généralement vous le pratiquez avec le Guru Yoga. Le guru est l’être que vous choisissez pour vous-même, celui parmi tous les êtres en qui vous avez le plus confiance. Quelqu’un en qui vous pouvez vraiment faire confiance, vous abandonner, que vous respectez totalement. S’il y a un être au monde pour lequel vous ressentez la dévotion, c’est le guru, et vous utilisez donc le guru yoga comme moyen de dévotion, de méditation.

Quelle définition donnez-vous du terme tirthika ? Certains le traduisent par « non-bouddhiste » ce qui me gène un peu,qu'en pensez-vous ?

Les tirthika sont ceux qui défendent des points de vue extrêmes.

paru dans la revue Dharma n°44 de Décembre 2002

 

 

0 0 votes
Noter cet article