Biographie
Né en 1949, le Cheikh Khaled Bentounès est le descendant d'une lignée de maîtres-soufis qui remonte au Prophète Mohammed. Élevé en Algérie, à Mostaganem, où il fréquente l'école des coopérants, il poursuit des études à Oxford et Cambridge avant de venir travailler à Paris dans le monde des affaires. À la mort de son père, il est désigné comme chef de la grande confrérie Alawiya par le conseil des sages, titre qu'il finit par accepter après un premier refus. Commence alors pour lui un long cheminement intérieur qui l'amènera en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe, où il transmet l'enseignement traditionnel soufi.
Propos recueillis par Khristophe Lanier
En juin 2003 a eu lieu à l’institut Karma Ling une rencontre Islam-Dharma qui a permis de nombreux échanges spirituels, philosophiques et… festifs. Le Cheikh Khaled Ben Tounes, invité d’honneur, était venu avec de nombreux membres de sa confrérie. Il a accepté de répondre à quelques questions.
Question : Le bouddhisme et l’islam ont entrepris un dialogue depuis très longtemps déjà, pouvez-vous rappeler les différentes phases de ce dialogue à la fois dans le passé et aujourd’hui ?
Réponse : Le dialogue entre le bouddhisme et l’islam remonte en fait aux VIIe et VIIIe siècle de la Chrétienté. Après la mort du Prophète, l’islam s’est répandu en Asie Centrale, dans le Gandhara, l’actuel Afghanistan et aux confins de l’Himalaya, c’est dans cette zone que le contact a été le plus direct et le plus fructueux, surtout après le IXe siècle lorsque l’école de pensée soufie ésotérique a été en rapport avec des moines bouddhistes. L’Islam s’est également diffusé au Tibet et la première mosquée de Lhassa remonte au Moyen-Age. Le contact s’est aussi établi en Inde, avec le grand empereur moghol Akbar qui fit construire à Agra la fameuse mosquée du Taj Mahal.
Mais bien avant tous ces contacts, il semble que le prophète lui-même ait reconnu le bouddhisme puisqu’on trouve dans le Coran des allusions qui, selon nombre de commentateurs, ne peuvent désigner que le Bouddha. Voici les citations exactes, dans la sourate 95, dite du figuier, on trouve au verset 3 les propos suivants : « Par le figuier et par l’olivier, par le mont Sinaï et par le territoire sacré ». Il est évident que le mont Sinaï fait référence à Moïse, que le territoire sacré désigne la Mecque, et que l’olivier renvoie au mont des oliviers, et donc à Jésus, mais le figuier pose problème. Si on reste dans la même approche symbolique que pour les trois autres allusions, on pense naturellement au Bouddha qui s’éveilla sous un figuier. Donc, ce verset peut être interprété comme ayant un rapport avec le bouddhisme, et même comme la mise sur un plan d’égalité de la tradition du Bouddha et des trois monothéismes.
Une autre allusion figure dans la sourate 39 au verset 48, il est fait mention d’un homme associé à des prophètes bibliques : « Souviens toi d’Ismaël, d’Elysée et de Doulkif, tous étaient justes. » On retrouve cette mention au verset 85 : « Ismaël et Doulkif qui tous deux étaient endurants » Doulkif n’est pas un prophète cité dans la Bible, dans les Psaumes ou les Livres de la Révélation, alors qui est ce Doulkif qui n’est pas identifié dans les traditions monothéistes ? Les exégètes du Coran se sont beaucoup penchés sur cette question et certains pensent que, là aussi, on peut estimer qu’il s’agit d’une allusion au Bouddha. En effet Doulkif signifie nourriture ou être nourricier ou encore celui du kilf, c’est-à-dire celui qui vient d’un endroit où il y a une nourriture pure, une nourriture spirituelle. Les commentateurs rapprochent ce terme de Sudhodana, le père du Bouddha, dont le nom signifie nourriture pure. Il y a donc toute une exégèse qui s’est développée autour de ce nom de Doulkif qui est cité deux fois dans le Coran, associé à des prophètes et donc mis au même niveau qu’eux. Il est décrit une fois comme juste et une fois comme patient, deux qualités qui conviennent bien au Bouddha.
Mais si le Coran est la parole du prophète, comment aurait-il connu l’enseignement du Bouddha puisqu’il n’a pas voyagé ?
En effet le prophète n’est pas allé en Inde, mais n’oubliez pas que l’Arabie était un pays où transitaient beaucoup de caravanes. Il y avait donc un contact avec l’Inde, avec l’Iran et avec les côtes de la mer du Bengale, n’oublions pas non plus la route de la Soie qui partait vers l’Asie Centrale, la Chine et les hauts plateaux du Tibet. Il y a forcément eu des rapports et des contacts entre ces peuples au moins par le commerce. Mais je ne pense pas que le prophète connaissait directement la religion bouddhiste. Cela m’étonnerait. Tel que Bouddha est mentionné dans le Coran, on n’a pas beaucoup d’informations sur sa doctrine, mais cela indique au moins qu’il est inscrit dans la lignée de ceux qui ont reçu la révélation. Et ceci est à mon avis un point très important, sur lequel va se fonder toute l’histoire et les contacts entre les musulmans et les bouddhistes.
Justement ce dialogue qui a été établi il y a de nombreux siècles est aujourd’hui ré-initié, en quelque sorte, en France. Quelles sont vos impressions par rapport à cette rencontre entre bouddhistes et musulmans, qui se déroule actuellement ?
C’est une rencontre très riche, S’il n’y a pas eu encore de contact de ce type entre le bouddhisme et l’islam, notamment le soufisme, c’est tout simplement parce que ces deux religions sont nouvelles en Europe. Mais aujourd’hui avec le développement rapide des deux traditions, notamment en France , il me paraît évident que ces contacts ne peuvent que nourrir un dialogue fructueux et des échanges de fraternité, de compréhension, d’ouverture. Aujourd’hui en Europe et en particulier en France, un pays laïque, qui permet le respect des traditions, et des croyances de tout un chacun, le terrain est favorable à un échange spirituel. Un échange qui peut même aller un peu plus loin dans la compréhension de nos traditions, parce que l’autre peut nous montrer ce qu’on a, ce qu’on est. Il agit comme une espèce de miroir, de reflet qui nous permet de mieux nous connaître Je crois que le bouddhisme en découvrant l’islam, et surtout l’islam ésotérique, va pouvoir mieux découvrir peut-être la tradition bouddhique dans sa profondeur. Comme l’islam soufi peut également à travers le bouddhisme découvrir son enseignement et son intériorité. Donc nous avons intérêt à dialoguer, à échanger et surtout à construire un avenir ensemble, un avenir avec l’autre et non un avenir l’un contre l’autre.
Cela permettra peut-être aussi de rétablir certaines réalités par rapport aux différents enseignements parce qu’on entend parfois des choses imprécises ou fantaisistes. Par exemple certains parlent de zen sans bouddhism ou de soufisme sans islam ; Qu’en pensez-vous ?
En fait on n’empêchera jamais les gens de dire et de faire des choses qui à mon avis ne sont pas inscrites dans une tradition mais il faut veiller quand même en tant qu’école de pensée, en tant que garant d’une tradition vivante à toujours mettre en garde les hommes, les femmes à ne pas commencer à faire de l’eso-tourisme et à toucher un peu à tout. Cela caractérise un peu notre époque où les gens ont perdu un peu le sens de la mesure, où on veut tout embrasser, tout vivre, tout connaître en même temps, sans attendre que l’expérience mature dans un parcours avec patience, dans un travail sur soi, un travail intérieur en profondeur. On survole les choses mais on ne les approfondit pas assez, donc je suis à la fois bouddhiste, je suis à la fois ceci, cela. Et en définitive on en arrive à une indigestion intérieure, on ne comprend plus les choses, c’est le piège des mots, des significations, on n’a même pas le temps de vivre l’expérience dont on parle. Toute expérience a besoin d’être vérifiée par le vécu et ne doit pas rester sur le plan intellectuel. Donc il faut donner du temps au temps. Une voie initiatique, une voie spirituelle demande à l’homme beaucoup de patience, beaucoup de travail sur soi. Mais bien sûr, cela n’empêche pas l’ouverture sur le monde et sur l’univers tout entier si on le peut. Mais il faut se référer à une voie pour notre propre bien.
A ce propos dans la voie musulmane on parle de tradition exotérique et de tradition ésotérique. Vous disiez hier qu’il y a eu deux périodes dans la vie du prophète. Lorsqu’il était à Medine, il a plutôt enseigné par rapport à l’extérieur, aux usages dans le monde. Et à la Mecque il a transmis un enseignement beaucoup plus intérieur, spirituel. Pouvez-vous commenter un peu ces deux phases ? Sont-elles séparées dans le Coran ?
Dans le Coran, il y a des éléments très précis quant à l’historicité de la révélation La phase de la Mecque a duré un peu plus de 11 ans et celle de Médine environ une dizaine d’année. Cette division entre les deux ne doit pas être trop rigide car il y a aussi de la spiritualité dans la révélation de Médine mais ce qui ressort en général. de celle-ci est l’accent mis sur les règles et les lois, les prescriptions par rapport à la communauté et la vie sociale. Alors que tous les versets qui parlent de l’absolu ; qui parlent de ce Dieu qui se présente à nous dans son Unité, ce sont ceux de la Mecque, c’est certain. Il y a une densité métaphysique dans ces versets-là qui est incontestable. Mais si on pousse au-delà de ces généralités, on réalise que la partie mecquoise était une révélation directe, forte, comme un fleuve, un torrent avec une fougue extraordinaire, alors que la partie médinoise répondait plutôt à un besoin humain. Les gens venaient chez le prophète et lui demandaient telle ou telle chose. Et il disait : « je vais en quelque sorte être le lien avec le divin pour répondre à tes questions. » C’est donc une révélation plutôt suscitée par des interrogations, alors qu’en premier lieu, à la Mecque, la révélation était comme un torrent qui se déversait.
On peut faire un parallèle avec le bouddhisme où il y a également différents niveaux de « révélation », qu’on appelle les différents cycles de l’enseignement du Bouddha. Pour rester dans le domaine des similitudes parlons des techniques de souffles qui existent dans le yoga, bouddhique ou non, et celles pratiquées dans les dikrs des soufis. Ces dernières proviennent-elles uniquement de la révélation de Mohammed à Ali , ou bien y aurait-il eu postérieurement quelques emprunts au yoga ou quelque influence des traditions indiennes?
On ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’influence. Toutes les civilisations se sont influencées mutuellement. Mais à ma connaissance les soufis ont développé leur propre technique, en veillant toujours à ce que la pratique du souffle, le dikr, se réfère au texte coranique lui-même, au nom du divin, de Ru’wa : « lui » Donc on part du son ha’wa qui s’unifie petit à petit comme si les lettres se dissipaient ou s’unissaient les unes aux autres et qu’il ne restait que le « a », le souffle qui va surgir du plus profond de nous-mêmes. Donc il y a bien un enseignement qui se réfère à la tradition musulmane elle-même, et qui s’inspire de la réalité de l’enseignement mohammédien lui-même. Mais qu’il se soit différencié avec le temps d’un endroit à un autre, c’est évident. Les soufis d’Asie Centrale, par exemple, accordent à la méditation silencieuse beaucoup plus de place que nous qui sommes en Afrique du nord et privilégions la méditation active du souffle. Peut-être que la méditation asiatique a influencé les soufis de l’époque qui se sont plus axé sur la méditation intérieure. Dire qu’il n’y a pas d’influence les uns sur les autres, c’est oublier que l’Humanité est Une !
Paru dans la revue Dharma n°47 de octobre 2003
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