Par Khristophe Lanier

Texte rédigé d'après un entretien réalisé chez Pierre Rabhi en Ardèche en décembre 2001.

Pierre Rabhi, la sagesse de la Terre

Pierre Rabhi est né dans le sud algérien en 1938, orphelin, il est élevé par un couple d'enseignants français, il est ainsi baigné dans une double culture dès sa prime enfance.

En 1958, il arrive à Paris et travaille comme magasinier dans une usine où il y rencontre sa femme Michèle. Insatisfait par les perspectives de la société industrielle et animé d’une « légitime insurrection » face à un système inéquitable, le couple décide dès 1960 de s’installer en Ardèche où Pierre travaille comme ouvrier agricole. Mais ce « retour à la terre » débouche sur une seconde remise en cause : le productivisme et l’agro-chimie font de l’agriculture une véritable industrie, déséquilibrant le monde végétal et coupant de plus en plus les paysans de leurs racines. Les Rabhi décident de suivre une autre voie et parviennent à acquérir une fermette en bordure des Cévennes. Inspirés par l’agriculture bio-dynamique ils mettent en pratique un mode de vie écologique qui leur permet de subsister avec leurs cinq enfants sur quelques hectares où ils élèvent des chèvres et cultivent légumes et céréales. Fort de cette expérience, Pierre Rabhi commence à encadrer des formations à l’agro-écologie dès 1979, et, en 1981, il est invité par le gouvernement du Burkina Faso à mettre en place un programme visant à développer l’autonomie alimentaire du pays. Il fonde à Gorom Gorom un centre de formation des paysans à l’agro-écologie visant à la réhabilitation des terres en perdition. Aujourd’hui environ 50000 paysans appliquent ces méthodes de culture au Burkina Faso, et Pierre Rabhi est devenu un expert international en agro-écologie, qui a développé avec le CIEPAD (Carrefour International d’Echanges et de Pratiques Appliquées au Développement, qu’il a fondé en 1989) des projets dans les pays du Maghreb et du Sahel, mais aussi en Palestine, Inde ou Amérique Latine. Il s’agit de fertiliser les terres arides , et de permettre une autonomie alimentaire à des populations paysannes victimes de différentes calamités naturelles et d’une logique économique mondiale qui concentre de plus en plus les richesses chez un petit nombre de privilégiés.

En 1998 Pierre Rabhi est sollicité par l’ONU pour faire des propositions concrètes visant à élaborer la charte contre la désertification. Mettant en évidence les inter-relations entre les problèmes des pays du sud et ceux du nord dans une approche globale, Pierre Rabhi s’attache à développer les échanges à la base, et également à proposer des alternatives réalisables au sud comme au nord. C’est ainsi qu’il en vient en 1996 à initier une démarche nommée « Oasis en tous lieux » visant à faire éclore ici et là, des lieux de vie, sorte de « laboratoire d’innovations sociales » ou l’humain et la nature seraient au cœur du développement. Le manifeste collectif des « Oasis en tous lieux » est introduit ainsi ; « Entre les dérives des villes surpeuplées où évoluent misère, exclusion et violence, et des campagnes où évoluent abandon et friches, notre conviction est qu’un nouveau projet de société n’est possible, au nord comme au sud, que par la synthèse des valeurs et des acquis du monde rural et de la société urbaine. »Les oasis, micro systèmes à la fois éthiques, écologiques et économiques, présentent des perspectives extrêmement concrètes face à la désertification et la perte du lien social, générées par un mode de développement suicidaire, focalisé sur la sacro-sainte croissance et le profit maximum. 

​Pierre Rabhi est également à l’origine de l’association « Terre et Humanisme » en Ardèche qui gère un centre de formation et d’expérimentation à l’agro-écologie, qui est devenu une référence en la matière. Mais Pierre Rabhi ne fait pas de l’écologie appliquée, la panacée aux problèmes du monde actuel; il déclare par exemple : « Je ne crois pas que l’agriculture bio suffira à amener un ordre mondial plus juste. Chacun de nous peut se nourrir bio, construire une maison bio-climatique, recycler son eau et, néanmoins, exploiter son prochain. Je n’agis plus pour la bio, mais pour que la bio soit au service d’une nouvelle conscience, instaurant une relation plus juste entre les humains eux-même et la nature. Le changement n’est pas dans les outils et les moyens, il est dans la conscience humaine. C’est la transformation intérieure de l’être humain qui va amener le changement de la société et non l’inverse, ce n’est pas parce qu’on fera tout bio que tout va changer. »

Et de mettre en garde contre les dérives possibles de l’écologie, intégrisme ou éco- fascisme; le nazisme dans certains aspects en fut l’illustration : « Il peut y avoir ce clivage dans l’esprit de l’être humain entre amour de la nature et haine de l’être humain. »

​Pierre Rabhi dans sa démarche sait remarquablement marier écologie extérieure et écologie intérieure. Promoteur d’actions on ne peut plus concrètes et adaptées au terrain, il met en même temps un accent particulier sur la nécessité du travail intérieur : « Il ne faut pas se tromper de crise, la crise n’est pas matérielle, elle est spirituelle, où plutôt la crise du monde traduit notre crise intérieure » Mais ce constat n’est pas pour autant un appel à se (re)tourner vers les religions instituées, que Pierre Rabhi évalue de façon critique : « On ne peut pas nier qu’à travers les siècles les religions ont amené des conflits et ceux-ci ont créé dans la conscience collective de l’Humanité des ambiguïtés, des malentendus et des nuisances qui sont bien réelles. » Il résume ainsi son itinéraire intérieur : « Après avoir été musulman puis chrétien, je ne me reconnais aujourd’hui dans aucune religion, mais ce n’est pas pour autant que j’ai évacué toute dimension spirituelle, bien au contraire, la dimension spirituelle a pris d’autant plus d’ampleur que je suis libéré d’une appartenance. »

Pierre Rabhi est persuadé que nous avons les moyens de faire face aux grands problèmes écologiques et de société, il s’agit d’un « travail de régénération planétaire dont le premier maillon est la restauration de la Terre nourricière, de l’air et de l’eau, ainsi que la préservation de la bio-diversité. Pour cela il faut peut-être agir au front de la politique pour obtenir des décisions concrètes, mais sans oublier que ces décisions sont rattachées à quelque chose de beaucoup plus global, qui relève de la préservation de la bio-sphère et de la survie de l’Humanité » Et d’affirmer que parallèlement à ces actions collectives, il est indispensable d’agir au niveau individuel. D’abord par une éducation appropriée visant à former des éco-citoyens responsables. (Ce volet est pris en compte chez les Rabhi puisque la fille de Pierre et son compagnon qui ont repris la ferme y ont adjoint une « école Montessori » qui accueille une quinzaine d’enfants du coin). Mais au delà de cette « écologie de la citoyenneté » Pierre Rabhi en appelle à « une écologie de l’engagement profond qui va chercher au tréfonds de la conscience de chacun, et qui rejoint le sacré » Il poursuit ainsi : «l’écologie sacrée, c’est la reconnaissance que la vie est l’émanation d’une intelligence, d’un ordre qui est sacré. C’est un niveau vers lequel l’écologie ne veut pas aller, c’est pourquoi elle ne touche plus assez les gens. Je respecte l’arbre, la terre, non pas seulement parce que je suis un bon citoyen qui ne veut pas polluer, mais surtout parce que j’ai ressenti dans l’arbre quelque chose qui transcende l’intelligence humaine et qui nous ouvre au mystère de la vie et à la quête spirituelle. Nous devons apprécier les ressources qui sont mises à notre disposition à leur juste valeur et développer une profonde gratitude vis à vis de la nature qui nous les pourvoit. Il ne s’agit pas de la dominer comme on l’affirme trop souvent dans les religions, mais de la respecter pleinement, sinon on développe une rapacité qui est aux antipodes de l’amour et de la compassion dont nous avons tant besoin. »

Pierre Rabhi insiste ainsi sur notre responsabilité dans la gestion de la planète qui implique de ré-affirmer nos devoirs et non pas seulement nos droits. Pour lui il convient d’être pleinement conscient du caractère sacré de la vie et de la respecter sous toutes ses formes, ce respect étant la seule manière de développer une compassion réelle.

Afin de pouvoir diffuser plus largement ces points de vue, Pierre Rabhi a accepté de concourir pour l’élection présidentielle. Aura-t-il les 500 signatures indispensable pour accéder au premier tour ? Quoi qu’il en soit, son message de bon sens et de sagesse n’est en aucun cas réductible à une échéance politique. Ceux qui y sont sensible sauront le diffuser davantage.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter:

  • "Pierre Rabhi : Le chant de la Terre " Rachel et Jean-Pierre Cartier, la Table Ronde, 2002.
  • « Le recours à la Terre » Pierre Rabhi, Terre du Ciel.
  • « Du Sahara aux Cévennes » Pierre Rabhi, Albin Michel, 1994.
  • « Paroles de Terre » pierre Rabhi, Albin Michel 1998.
  • Terre et Humanisme, pratiques écologiques et solidarité internationale. Le Vignal 07230 Lablachère. Tel 04-75-36-64-01

​Paru dans la revue Dharma n°42 de Avril 2004

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