Par Khristophe Lanier

 

Le nombre 7 semble réaliser l'union de l'espace avec ses quatre directions et du temps avec ses trois dimensions, mais l'observation fine des cycles de la lune et le suivi du mouvement des sept planètes visibles à l'œil nu, sont probablement les facteurs principaux qui ont contribué à instaurer le statut tout particulier qu'occupe le nombre sept dans la tradition des anciens. Le symbolisme du nombre sept, commun à toute l’aire indo-européenne, a bien sûr donné des formes spécifiques au sous-continent indien. On peut, bien évidemment, citer les sept chakras mais également les sept rishi, les sept sources du Gange, les sept fleuves sacrés, les sept villes saintes, les sept montagnes, les sept mères divines…

 

 

Origine d’un symbole

Le nombre sept est à l'honneur dans bien des civilisations depuis la plus haute antiquité. On peut s'interroger sur les causes de cette omniprésence du sept dans les traditions spirituelles, ésotériques et astrologiques. Ce nombre illustre, semble-t-il, le lien entre le plan terrestre et le plan céleste. En effet, une personne debout sur la Terre peut se relier à son environnement de deux façons principales. Si elle se situe dans le plan horizontal, elle aura tendance à l'associer aux quatre directions : devant elle, derrière elle, à sa gauche et à sa droite. En revanche, si elle se situe dans le plan vertical, elle aura tendance à considérer trois niveaux, le sol où elle se trouve, l'espace sous-terrain et l'espace aérien. L’addition du quatre et du trois qui caractérisent ces deux plans donne le sept qui établit ainsi le lien entre le bas et le haut, la terre et le ciel, le plan horizontal et le plan vertical.

 

Cependant, cette lecture est un peu abstraite et on peut trouver une explication plus concrète dans l’observation du ciel. On pense bien évidemment aux sept planètes de l'astrologie traditionnelle : les deux luminaires, Soleil et Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Les astronomes modernes rétorqueront peut-être que le Soleil est une étoile, que la Lune est un simple satellite de la Terre et que par ailleurs, il existe de nombreuses autres planètes dans notre système solaire. Mais le terme planète signifie à l'origine « astre errant ». En effet, lorsqu'on observe le ciel, à part quelques phénomènes rares comme les comètes, seuls le soleil, la lune et les cinq planètes visibles sans instrument semblent se mouvoir sur une voûte céleste constituée de constellations dont les étoiles nous apparaissent fixes. Bien sûr, le mouvement de rotation de la Terre paraît produire un basculement de toute la voûte céleste, mais les étoiles gardent les mêmes distances apparentes entre elles, ce qui semble figer les constellations dans une configuration qui demeure immuable pour les observateurs du ciel[i].

 

A notre époque où l’éclairage artificiel nous a presque complètement coupé des merveilles nocturnes de la voûte céleste, on ne peut guère réaliser à quel point le déplacement de ces « astres errants » dans le zodiaque[ii] pouvait impressionner, voire fasciner les personnes vivant à cette époque qui ne connaissait pas l’électricité. Il n’est pas étonnant que les anciens assimilèrent ces sept manifestations lumineuses qui se déplaçaient dans le ciel, à sept aspects de la divinité , et qu’ils les associèrent dans un registre symbolique à de nombreuses dimensions de leur vie quotidienne.

 

 

Les sept jours de la semaine associés aux sept planètes

Les sept « planètes » visibles à l’œil nu sont sans doute à la base de la semaine de sept jours qui semble remonter aux Sumériens et avoir été introduite en Inde environ 2 000 ans avant notre ère. L’association entre les jours et les planètes est la même que chez nous. Le Soleil (Surya, Ravi, Aditya…) est associé au dimanche, la Lune (Chandra, Soma, Indu…) au lundi, Mars (Mangala, Angaraka…) au mardi, Mercure (Bouddha) au mercredi, Jupiter (Guru, Brihaspati…) au jeudi, Vénus (Shukra, Tara…) au vendredi et Saturne (Shani) au samedi. On peut cependant noter un autre aspect significatif dans le choix d’une semaine de sept jours. Il s’agit de la division du mois lunaire d’environ vingt-huit jours en quatre parties de sept jours correspondant aux quatre phases bien connues : nouvelle lune, premier quartier, pleine lune et dernier quartier. Il est difficile de savoir si l’importance symbolique du sept est davantage liée aux calendriers lunaires archaïques ou à l’observation des sept astres errants. Il se pourrait que ces deux aspects ont simultanément contribué à l’émergence de cette puissante symbolique. Quoi qu’il en soit, ces deux composantes sont également très présentes dans l’astrologie indienne (jyotish) qui est à forte dominante lunaire et qui prend en compte principalement les sept planètes des anciens. Par ailleurs, on peut noter l'importance des périodes de sept temps en relation avec le cycle de Saturne qui durent un peu plus de vingt-neuf ans, soit quatre périodes de sept temps et quelques mois.

 

 

Sapta rishi ou les sept sages présents dans la Grande Ourse

S’il est une constellation fameuse entre toutes, c’est bien la Grande Ourse qui apparaît sous toutes les latitudes de l’hémisphère nord et qu’aucun observateur ne peut manquer de repérer lorsqu’il lève les yeux vers le ciel. En Inde, cette constellation est appelée « Sapta Rishi », les sept sages, en référence à la mythologie des purâna. Dans les temps anciens, les épouses des rishi étaient des modèles de fidélité et de disponibilité. Un jour, Agni le dieu du feu, tomba follement amoureux des épouses des sept rishi principaux, mais celles-ci ne répondaient pas à ses attentes. Svaha, une fille de Daksha, qui convoitait Agni, profita de la situation en prenant tour à tour l’apparence des épouses des rishi pour s’offrir au dieu du feu. Cependant, elle ne parvint pas à se faire passer pour Arundhati, l’épouse de Vashista, qui était la plus vertueuse. Les six premiers rishi, pensant que leurs épouses les avaient trahis, les exilèrent dans le ciel où elles devinrent les six étoiles des Pléiades, un petit amas d’étoiles situé dans la constellation du Taureau. Après avoir découvert le subterfuge, les six rishi, afin de rejoindre leur compagne, montèrent à leur tour dans le ciel où ils devinrent six étoiles de la Grande Ourse. Vashista, le septième rishi, eut seul le bonheur d’être associé de façon intime à son épouse Arundhati au firmament, en devenant Mizar, la septième étoile de la constellation. En effet, Mizar est une étoile double, dont la compagne Alcor est nommée Arundhati en Inde.

 

Saptha sindhu ou les sept fleuves sacrés de l'Inde

La tradition indienne fait référence à sept cours d'eau sacrés (sapta sindhu) qui sont des lieux de pèlerinage et de purification. Il s'agit du Gange, de la Yamuna, de la Sarasvati, de l'Indus, de la Godavari, de la Narmada et de la Kaveri. Un esprit rationnel pourrait fort bien objecter que la Sarasvati n'a aujourd'hui aucune réalité physique, et qu'il vaudrait mieux inclure comme septième fleuve sacré, le Brahmapoutre (fils de Brahma). Celui-ci prend sa source sur les hauts plateaux tibétains où il se nomme Yarlung Tsangpo, puis coule à travers l'état oriental de l'Assam, où il devient le Brahmapoutre. Ensuite il prend le nom de Jamuna au Bangladesh avant de mêler ses eaux à celles du Gange dans un immense delta. Mais ce serait une tentative vaine de restreindre le sacré à la dimension physique, alors que la sacralité consiste justement à relier le visible et l'invisible. Dans ce contexte, on peut noter l'analogie entre les trois canaux d'énergie bien connus (ida, pingala et sushumna) et les fleuves Ganga, Yamuna et Sarasvati. Tout comme les trois nadi convergent dans ajna chakra, les trois fleuves confluent dans le site sacré Prayag à Allahabad, une des quatre villes où se déroule la Kumbha Mela. Bien sûr, le commun des mortels ne voit qu'un confluent classique de deux cours d'eau mais il est dit que le troisième, la Sarasvati, est bien présent à un autre niveau.

 

Certains parlent de fleuve invisible, d'autres de fleuves souterrains, d'autres encore, plus rationnels, prêtent une existence historique au fleuve Sarasvati qui aurait coulé jadis à partir de l'Himalaya vers le sud pour se jeter dans la baie de Cambay au Gujarat. Des archéologues, à partir de photographies aériennes, auraient repéré la trace d'un fleuve gigantesque qui pourrait être l'ancienne Sarasvati. Suite à un séisme, la Sarasvati antique se serait divisée en deux parties, l'une se serait asséchée dans les sables du Rajasthan et l'autre serait demeurée sous la forme de la rivière Tons, le principal affluent de la Yamuna. Ainsi, Sarasvati serait présente dans la Yamuna au moment où elle rejoint Ganga à la fameuse confluence sacrée.  Tout comme il s'agit de désactiver la polarité ida / pingala pour appréhender sushumna, ne doit-t-on pas sortir de la logique binaire de la connaissance dualisante pour appréhender le flot de la connaissance unifiée ? Ainsi Sarasvati, « celle qui coule », est à la fois la Déesse de la connaissance, de la parole et de la musique. Tout comme les sources du Gange, avant d’être sept, les fleuves sacrés sont d'abord trois. Cette tripartition peut bien sûr être associée aux trois canaux d'énergie de l'anatomie subtile (triveni), mais la trinité n'a d'autre objet que de ramener à l'unité. Ainsi, l'archétype du fleuve sacré incarné par la Déesse Ganga peut être appréhendé à trois niveaux : le Gange céleste, ou Mandakini (laVoie lactée), le Gange terrestre et le Gange sous-terrain. Ceci est mis en évidence par Alain Daniélou : « la ville lumière est la ville du savoir (Jnana-puri) ». Dans le microcosme, le nom de Kashi est donné au sommet de la tête où le savoir réside. Le lotus aux mille pétales qui représente la partie supérieure du cerveau, est appelé la ville lumière (Kashi-puri). Cette cité intérieure se trouve au point où les trois canaux du corps subtil se réunissent. Ces trois canaux forment le trident de Shiva. De même, la Bénarès terrestre est le lieu où les trois Ganges se croisent : le Gange céleste ou Voie lactée, le fleuve terrestre et un grand fleuve souterrain, le Pâtâla-gangâ qui coule de l'Himalaya en se dirigeant vers le sud »[iii].

 

Les sept sources du Gange et les sept villes sacrées

La tradition mentionne parfois sept sources au fleuve sacré Ganga, mais il est bien difficile d’en donner une liste précise. Tout le monde s’accorde sur la localisation des trois sources principales Gangotri, Bhadrinath et Kedarnath. Ces sites sacrés sont marqués par des sanctuaires qui constituent des lieux de pèlerinage pour des millions d’Indiens chaque année. Les trois cours d’eau principaux qui vont constituer le Gange sont Bhagirathi qui prend sa source dans le site de Gomukh en amont de Gongotri, Alaknanda qui sort du glacier Satopanth au-dessous de Badrinath et Mandakini qui apparaît près du glacier Chorabari au-dessous de Kedarnath. Mais il est plutôt hasardeux de choisir parmi les nombreux affluents de ces trois cours d’eau principaux pour localiser les quatre autres sources supposées. Qui voudrait faire coïncider les sources mythiques avec les sources géographiques risquerait fort d’y perdre son sanskrit ! En effet, une légende raconte que la déesse Ganga tomba du ciel sous la forme d’un fleuve cosmique et fut amortie par le chignon de Shiva d’où elle se divisa en sept flots qui retombèrent dans l’Himalaya pour arroser les ermitages des sept rishi. Mais suivant les différents textes sacrés, ces sept sages ne sont pas toujours les mêmes.

 

De la même façon, on pourrait en déduire que les sept sources du Gange peuvent être différentes suivant les textes et les contextes. La Mandakini rejoint l’Alaknanda à Rudra Prayag (le confluent de Rudra). L’Alaknanda conflue avec la Bhaghirathi à Deva Prayag (confluent des dieux), ce qui donne naissance au Gange en tant que tel. Si l’on considère le Gange à son lieu d’apparition, on cherchera naturellement ses sources en amont de Deva Prayag. Mais si on l'appréhende dans sa partie inférieure, on peut également considérer les sources de ses principaux affluents, telle la Yamuna comme faisant partie des sept sources du Gange. Ce n’est qu’une question de point de vue. Yamunotri, la source de la Yamuna, se situe dans la même région himalayenne que les trois sources du Gange. Yamunotri constitue avec Gangotri, Badrinath et Kedarnath, le Chota Char Dham, les quatre sièges sacrés. Il est dit qu’effectuer le pèlerinage de ces quatre sources revient à réaliser symboliquement le grand Char Dham (les quatre demeures divines qui consistent à se rendre tour à tour en pèlerinage aux quatre lieux sacrés situés aux quatre coins de l’Inde : Kedarnath au Nord (un des principaux temples à Shiva), Puri à l’Est (demeure de Jagannath, une des formes de Vishnu ou de son avatar Krishna), Rameswaram au Sud (site où Rama aurait rendu hommage à Shiva selon le Ramayana) et Dwarka à l’Ouest (site où Krishna fonda sa capitale). Ce grand pèlerinage fut institué, dit-on, par Shankaracharya pour réaliser l’unité spirituelle de l’Inde. Un autre pèlerinage fameux est celui du sapta puri, les sept villes sacrées citées dans le Gurana Purana: Varanasi (Uttar Pradesh), Haridwar (Uttarakhand), Avodhya, le lieu de naissance de Rama (Uttar Pradesh), Mathura, le lieu de naissance de Krishna (Uttar Pradesh), Dwarka, le lieu où Krishna devient roi (Gujarat), Kanchipuram (Tamil Nadu), Ujjain (Madhya Pradesh).

 

Les sept mères divines et autres aspects de la symbolique du sept en Inde

Les saptamatrika ou sept mères divines sont différents aspects de la grande déesse qui apparaissent dans plusieurs textes anciens. En général, il s'agit de Brahmani, Yogeshvari, Kumari, Vaishnavi, Varahi, Indrani et Chamunda mais il y a parfois des variantes voire une huitième déesse dans la liste. Elles sont respectivement les shaktis de Brahma, Shiva, Skanda, Vishnu, Varaha, Indra et Shava, l'aspect immobile de Shiva. Les références marquées par la symbolique du sept sont innombrables dans la tradition indienne. Nous pouvons en citer encore quelques-unes. Surya, le Dieu soleil, est parfois appelé « Saptashva », le seigneur des sept chevaux, représenté assis sur un lotus dans un char tiré par sept chevaux ou par un cheval à sept têtes. Chandra, la lune, aussi appelée Soma, est divisée en sept doigts, chaque jour les Dieux en boivent un. Traditionnellement, on parle de sept chaînes de montagnes en Inde : La chaîne de l'Himalaya, Karakoram et Pir Panjal, au nord-ouest et au sud de la chaîne himalayenne, Purvanchal à l'est, Satpura et Vindhaya dans le centre de l'Inde (Madhya Pradesh), Aravali (Haryana, Rajasthan, Gujarat), les Ghats occidentaux ou Sahyadri, (du Gujarat à la pointe sud de l'Inde), et les Ghats orientaux (le long du golfe du Bengale). Lors des mariages traditionnels hindous, les jeunes mariés formulent sept vœux devant le feu sacré d'Agni qui est lui-même parfois représenté avec sept langues. Dans le Shiva-purana, on trouve la référence suivante concernant la graine de rudraksha (œil de Shiva) à sept faces :

 

« Un rudraksha à sept faces, ô Maîtresse suprême, est appelé “le dieu sans corps”(Ananga), le dieu de l'Amour. En le portant, ô Souveraine, même un pauvre homme devient un grand seigneur »[1].

 

On trouve des références marquées par la symbolique du sept dans les différentes traditions spirituelles de l'Inde. Par exemple, dans le bouddhisme, la légende dit qu'à sa naissance le futur Bouddha fit 7 pas vers l'Est et qu'apparurent sept lotus. Les multiples du 7 sont également présents, citons entre autres, les 21 aspects de la déesse Tara, les 28 patriarches à l'origine du zen, les 49 jours du bardo de la renaissance, les 84 mahasiddhas et les 84000 enseignements du Bouddha.

Wedding of Rama and Sita. Wall painting in Bundi palace, 18 century.L'union de Rama et SitaPeinture murale, palais  de Bundi 18 ème siècle. Source Wikipédia

Nous avons vu qu'une origine logique de la puissance symbolique du sept pourrait être l'observation des sept planètes dans le ciel, nous pouvons ajouter un élément plus analogique : les sept portes de notre tête, c'est-à-dire les sept orifices que constituent la bouche, les narines, les yeux et les oreilles. Ces sept portes de notre sphère interne peuvent être mises en relation avec les sept planètes qui sont comme les sept portes de la sphère externe. Ainsi le sept, devient une clé qui relie macrocosme et microcosme, extériorité et intériorité. Finalement, nous ne pouvons clore ces propos sans mentionner les sept chakras du corps subtil. Il n'est pas possible ici de développer cet aspect fondamental du yoga. Nous nous bornerons à noter que l'animal correspondant à muladhara, le chakra racine est un éléphant à sept trompes, comme si le centre d’énergie de la base contenait potentiellement les sept niveaux de notre corps énergétique.

 

Khristophe Lanier

Paru dans Infos Yoga n° 129 nov/déc. 2020. 

Notes

 

[1]   Tara Michael, La légende immémoriale du Dieu Shiva. Le Shiva-purâna, Chap XXV.

[i] Évidemment, nous savons que tout bouge dans l’univers et que les « étoiles fixes » n’échappent pas à cette règle, mais les distances considérables qui les séparent de la terre font que ces mouvements ne sont pas visibles à l’échelle d’une vie humaine. Ainsi, il faut plusieurs siècles, voire millénaires pour noter une petite déformation d’une constellation.

[ii] Bande du ciel d’environ 23° devant laquelle le Soleil, la Lune et les planètes se meuvent au rythme de leurs cycles respectifs.

[iii] Alain Daniélou, Mythes et Dieux de l'Inde, le polythéisme hindou, Flammarion, p. 340

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