UNE INTRODUCTION AU HATHA VIDYA, Partie II

L’anatomie subtile

 Introduction

 
Ce texte, traitant du corps subtil, est substantiellement inspiré de l’ouvrage majeur de Constant Kerneiz : « Le Hatha Vidya ».
Constant Kerneiz, de son vrai nom Félix Guyot, est un professeur de philosophie et astrologue qui fut le premier à enseigner et faire connaître le yoga en France.
Né en 1880 et mort en 1960, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le Hatha Yoga caractérisés par un style didactique adapté à la culture occidentale.
La plupart des publications de Kerneiz sont malheureusement en rupture d’édition.
 
Le Hatha Vidya, système scientifique développé dans la méthode tantrique, englobe une cosmogonie générale dont les postulats se déclinent également au niveau microcosmique, c'est-à-dire à l’échelle humaine.
C’est ainsi que dans la science tantrique l’Homme, vu comme un univers en réduction, est structuré en cinq dimensions (matérielle, subtile, mentale, animique et psychique) et « matérialisé » grâce aux combinaisons des cinq éléments : akasha,vayu, agni, ap et prithivi appelés bhuta au niveau macrocosmique et tattva au niveau microcosmique.  De plus, l’Homme est animé par le Souffle cosmique svara polarisé en Pingala (positif) et Ida (négatif), sans oublier leur neutralisation : Sushumna. Enfin, comme l’univers, l’Homme renferme un principe sacré, pur, immuable et unique.
 

L’Homme : un emboîtement de cinq corps

 
A l’échelle humaine, les cinq dimensions cosmiques sont assimilées à cinq corps, emboîtés les uns dans les autres :
 

  1. Sthula sharira : le corps physique, seul connu directement par nos sens communs. Après la mort, ce corps inanimé est le cadavre. Il correspond à prithivi, la sphère matérielle de notre univers.

Sharira : désigne la partie solide et périssable d’un corps.
 

  1. Pranamaya kosha : corps subtil ou pranique. Le terme kosha désigne un tourbillon de forces organisées ; il a une signification dynamique.

Le corps pranique est formé par deux organes fluidiques étroitement associés : le corps pranique supérieur (dont la substance est le prana) et le corps pranique inférieur (dont la substance est l’apana). Il n’est pas perceptible par nos sens dans des conditions « normales ». Bien qu’immatériel, ce corps est encore proche de la matière. Il correspond à prana, dimension subtile de l’univers.
 

  1. Manomaya kosha : corps manique ou mental. Organisme qui se trouve le plus développé dans l’espèce humaine. C’est l’instrument de notre système de pensée, celui avec lequel nous nous identifions en disant « je ». Il est le siège de la pensée discursive vacana et correspond à Manas, la sphère mentale au niveau macrocosmique.

 

  1. Vijnanamaya kosha : corps animique dont le développement est rudimentaire chez l’Homme normal. Il correspond à un mode de pensée que le yoga permet de développer. Le corps animique s’apparente à vijnana, la sphère animique au niveau  du macrocosme.

 

  1. Anandamaya kosha : corps psychique, encore plus immatériel. La fonction de l’organisme psychique est double : active et passive. Dans son mode passif, il correspond à une pensée intuitive (aptavacana) qui n’a pas besoin de s’appuyer sur un support symbolique. Il perçoit directement les choses dans leur essence même, c'est-à-dire dans la pensée créatrice de Brahma. Il n’existe chez l’homme qu’à l’état de germe et appartient au plan divin Dans son mode actif, l’organisme psychique consiste en l’individualisation et l’objectivation des concepts. Le concept est une création de la pensée ; sa source est dans le moi véritable. Pour devenir accessible à la pensée discursive, il doit s’objectiver, c’est à dire revêtir une forme : le symbole. Le processus psychique d’objectivation est un processus de symbolisation (lingakhya). Les formes sensibles sont des symboles.

Anandamaya kosha trouve sa correspondance macrocosmique dans ananda, la sphère psychique.

 
Notons que l’unité que nous attribuons à la personnalité apparente de l’être humain est illusoire. Une personne est en fait une combinaison d’éléments fort complexes.

 

Le corps subtil, domaine d’étude du tantrisme

 
 Le Hatha-Vidya s’intéresse au pranamaya kosha, corps pranique, et non au sthula sharira qui reste le domaine de l’anatomie et de la physiologie classique.
 Le corps subtil est lui aussi formé d’une substance appelée prana, manifestation du souffle svara sur le plan subtil, et présentant deux aspects :

  • shambu,  l’énergie,
  • rayi,  la « matière » pranique, support de shambu.

Rayi est perçu par les « sens praniques » comme la matière l’est par les sens physiques.
Les tantriques l’appelle vayu et il ne doit pas être confondu avec le bhuta du même nom.
Les vayus servent de support aux énergies subtiles. Rayi et la matière du plan grossier sont pénétrables et transparentes l’une à l’autre. Ainsi les deux mondes coexistent spatialement tout en étant aussi étrangers l’un à l’autre que s’ils étaient séparés par des distances incommensurables. Mais la frontière entre ces deux mondes n’est pas bien délimitée et la plus grande barrière entre les deux, reste la composante manique de notre système de pensée. Les êtres dont la personnalité manique est peu développée garde le contact avec le plan subtil.
 
Or cet inter pénétrabilité n’est pas absolu et certaines substances matérielles dévient ou retardent le passage des vayus ; ce sont en général les substances mauvaises conductrices de la chaleur et surtout de l’électricité.
 
La transition entre le plan matériel et le plan pranique est assurée par une substance de nature akashique nommée naga qui résulte de l’action du prana sur la matière et de la réaction de la matière sur le prana. Le naga constitue le siège de nos sensations au cours de notre vie physique.  Il est la couche vivante de la matière.
Si le corps grossier est le siège des organes des sens, celui des sensations est situé dans l’organisme pranique. Les organes des sens ne servent qu’à filtrer et amplifier des vibrations. Cela explique pourquoi on peut dissocier les sensations et les organes des sens.
 
De plus, c’est le corps pranique qui donne à la matière vivante sa structure organique interne et ses contours externes, comme un tourbillon invisible de vent donne sa forme à une dune de sable.

Les atomes et les molécules qui constituent nos tissus sont éliminés et remplacés par d’autres, mais la forme du corps demeure, imposée par le corps subtil.
Cette forme est en fait une image (au sens idée) de notre corps que nous portons en nous. Dans le cas des apparitions au moment de la mort, c’est cette idée (image) qui se manifeste par transmission de pensée de la personne qui meurt à celle qui voit.  Ce n’est donc pas le corps subtil de la personne que l’on pense apercevoir mais la représentation mentale de son corps physique telle qu’elle est en lui au moment de la mort. 
    
A l’instar du corps physique, le corps subtil possède sa propre anatomie et sa propre physiologie, avec ses tissus, ses organes, son système d’échange ainsi que son métabolisme.

 

Les organes du corps subtil

 
Le corps subtil possède deux groupes d’organes : les chakras et les nâdîs.
Chakra signifie « roue » en sanscrit et nâdî signifie « canal » et « vaisseau du corps ».
Les chakras sont les centres d’absorption, d’assimilation, de distribution et de désassimilation des vayus.  Ils sont aussi indispensables à la vie que l’est le cœur sur le plan matériel.
La pratique du Hatha-Yoga a pour but de rendre conscientes et de maîtriser les fonctions des chakras.
Les chakras ne sont pas les enchevêtrements de filets nerveux nommés plexus, car ils se situent sur un plan différent. Cependant une certaine solidarité lie les deux : tout changement au niveau du plexus induit une modification dans le fonctionnement du chakra et inversement.
C’est grâce à cette réversibilité que le yogi arrive à maîtriser son corps tout en maîtrisant ses chakras et qu’à l’inverse, un exercice purement physique comme les postures conduit à la maîtrise du corps pranique.
 

 

Les sept principaux chakras

L’organisme subtil est composé d’un très grand nombre de Chakras. Mais les principaux sont au nombre de sept : muladhara, svadhisthana, manipura, anahata, vishuddha, ajna, brahmarandhra.

 

Muladhara 

Mula signifie « racine » en sanskrit. Muladhara est le chakra fondamental qui relie le corps subtil individuel à l’espèce humaine, tel le pétiole relie la feuille à l’arbre et donc à la Terre.
 
Il se localise dans le corps subtil correspondant à la partie du corps grossier située entre l’anus et le sexe.
Le corps subtil est sexué et c’est muladhara qui indique la différence des sexes grâce à  la prédominance du caractère positif mâle ou négatif femelle ainsi que grâce à l’atrophie plus ou moins prononcée du caractère opposé. Il n’y a pas d’individu exclusivement mâle ou femelle.
Muladhara est symbolisé par un triangle blanc phosphorescent avec la pointe tournée vers le haut pour les hommes et vers le bas pour les femmes.
Le bhuta qui correspond au muladhara est prithivi dans toutes les espèces animales car c’est par là que l’animal s’enracine dans la matière dont l’état le plus parfait est l’état solide.
Dans le corps physique, muladhara correspond aux centres nerveux qui régissent l’absorption intestinale, l’excrétion et la reproduction.
Les cellules sexuelles, ovules et spermatozoïdes, sont des cellules appartenant à l’espèce et « parasitent » en quelque sorte le corps dont ils sont les hôtes. Ces cellules vivent leur vie et arrivées à « maturation », c’est en tant que « corps étrangers» qu’elles sont expulsées par une voie d’évacuation proche de celle des excréments.
Le symbole graphique du muladhara est le même que celui du bhuta prithivi : LAM.

 

Manipura, svadhisthana et anahata

Ces trois Chakras représentent les foyers essentiels de la vie organique subtile en tant que centres d’assimilation, d’accumulation, de distribution et de désassimilation des trois principales forces vitales : vayu, agni, et ap.

  • Vayu, qui correspond à l’air et à l’état gazeux, garde son nom dans l’anatomie subtile et concorde avec le sang, dont l’activité est prépondérante au printemps.
  • Agni, qui correspond au feu et à l’état igné, devient pitta dans l’anatomie subtile et correspond au feu gastrique, à la bile des hermétistes : la bile jaune est chaude et sèche, elle domine en été (correspondant au feu, elle rend la personne violente et colérique).
  • Ap qui correspond à l’eau et à l’état liquide, devient kapha dans la physiologie subtile et correspond au phlegme des hermétistes: froid et humide, prépondérant en hiver (correspondant à l’eau, il est responsable de la pâleur, de la fatigue, du manque de courage).

 
 Ces trois forces sont les principaux agents de tous les phénomènes de la vie végétative, réglée sur le plan grossier par le système sympathique, responsable du contrôle d'un grand nombre d'activités inconscientes de l'organisme, telles que le rythme cardiaque et la contraction des muscles lisses. Il permet, entre autre, d'accélérer la fréquence cardiaque et de dilater les bronches sous l'effet du stress.
 

Manipura

Manipura signifie « nombril » en sanskrit.
Le chakra manipura correspond dans le corps grossier au plexus solaire.
Pendant la vie fœtale, manipura joue le rôle que remplira muladhara après la naissance: c’est par son intermédiaire que l’être vivant en gestation est rattaché à l’espèce. Muladhara et manipura forment un couple lié par l’entrecroisement de leurs nâdîs.
De manipura partent un très grand nombre de nâdîs qui se ramifient dans tout l’organisme pranique, dans les parties internes et périphériques.
En contrôlant ce chakra grâce à l’entraînement, le yogi se rend maître de sa vie végétative.
Manipura est le foyer du « feu gastrique » pitta , et le bhuta correspondant est agni.
Dix grosses branches de nâdîs y prennent naissance et se ramifient  dans tout l’organisme subtil.
Au manipura chakra correspond le lotus à dix pétales et la lettre symbolique est RAM.
 

Svadhisthana

Svadhisthana signifie « Le siège du Soi » en sanskrit.
Ce chakra correspond aux ganglions semi lunaires du corps (ganglions coeliaques) situés proche des reins.
Six branches principales de nâdîs y prennent naissance.
Deux nâdîs relient directement le svadhisthana à un chakra secondaire important : le bodhaka qui représente une sorte de dédoublement du chakra primaire et qui se situe dans la bouche, au sommet du palais, là où le naso-pharynx s’ouvre dans la cavité buccale: toute action sur l’un de ces chakras a des effets sur l’autre.
Le bhuta associé est ap.
Svadhisthana correspond au niveau subtil au système humoral sur le plan physique dont les fonctions président à la transformation des aliments en chyle (résultat de la digestion dans l'intestin grêle), la transformation du chyle en sang, la régulation thermique par la sudation.
Il contrôle le sens du goût ; il est le centre psychique de la jouissance du soi.
VAM est la lettre symbolique associée.

Anahata

Anahata signifie en sanskrit : “non frappé” (se dit d’un son primordial), inaudible, ineffable.
Il est le siège du son subtil.
L’anahata chakra correspond au plexus cardiaque du corps physique et se situe au niveau du cœur.
Il a en charge l’assimilation, l’accumulation, la distribution et la désassimilation du fluide vital vayu dans toutes les parties de l’organisme pranique.
Ses fonctions subtiles correspondent à celles, sur le plan matériel, du cœur, des poumons, des deux systèmes artériels et veineux.
La maîtrise consciente de l’anahata s’obtient par la pratique des exercices respiratoires : le pranayama.
Ce chakra contrôle le sens du toucher.
Douze nadîs principaux, groupés par deux, ont leur origine dans ce chakra auquel correspond le lotus à douze pétales.
Le bhuta dominant est vayu dont la lettre est PAM.

 

 

Vishuddha, ajna et brahmarandhra

 
Les deux chakras vishuddha et ajna correspondent, sur le plan grossier, à la vie volontaire et sont en étroite relation avec les fonctions hormonales. De plus, ces deux chakras représentent les plans supérieurs au niveau du corps pranique.
 

Vishuddha

 Signifie « très pur » en sanskrit.
Localisé à la dépression de la base du cou, en étroite relation avec la thyroïde. Il  correspond au plexus cervical et au cervelet.
La principale fonction physiologique de vishuddha est l’admission du prana extérieur dans l’organisme subtil, fonction solidaire de la respiration physique et donc réglable à volonté, selon le principe fondamental du pranayama.
Vishuddha joue un rôle important dans la perception des sensations tactiles, dans l’émission de la voix et dans l’audition.
Le bhuta correspondant est akasha, mais vayu y est également très important.
Seize branches de nâdîs partent de vishuddha et le lotus correspondant est doté de seize pétales, représentation du plan animique.
La maîtrise de ce chakra conduit à celle du padma correspondant et ouvre au yogi l’accès à des pouvoirs qui dépendent du plan animique.
La lettre symbolique est HAM.

Ajna

Ajna signifie en sanskrit : « ordre, commandement, autorité ». Ajna chakra  est le sixième chakra du yoga tantrique et il possède deux localisations au niveau du corps physique :

  1. A la racine du nez
  2. Dans la légère dépression du sinus frontal.

Sa principale correspondance dans l’organisme matériel est la glande pinéale ou épiphyse (petite glande endocrine conique, médiane, accrochée au plafond du troisième ventricule de l'encéphale, posée sur le tronc cérébral en dessous et au devant du cervelet.).
 
Elle sécrète la mélatonine (dérivé de la sérotonine sécrétée elle par les tissus nerveux), et joue par son intermédiaire un rôle central dans la régulation du rythme biologique.
Les fonctions d’ajna correspondent à la vision et par extension à toutes les fonctions du cerveau, pensée et volition.
Ajna préside à la formation des images mentales. Il est très lié à vishuddha. Akasha et vayu sont les bhutas dominants d’ajna mais la prépondérance akashique est encore plus marquée.
Deux branches de nâdîs naissent d’ajna et s’entrecroisent avant de s’étendre en de nombreuses ramifications.
Ces deux branches ont pour correspondance physique les deux lobes du cerveau. Le padma à deux pétales correspondant représente le plan psychique mais également l’Autorité et la Vérité.
Le symbole graphique d’ajna est AUM, le monosyllabe sacré.

 

Brahmarandhra

Brahmarandhra signifie « fontanelle » en sanskrit. C’est la  dixième ouverture du corps humain : “l’ouverture de Brahmâ”, région du cerveau située sous la fontanelle antérieure, siège de l’esprit et des perceptions. Il est également l’emplacement du chakra sahasrara.
Un nadî rectiligne, sushumna, le réunit directement au muladhara, mais aucun courant fluidique n’y circule en temps normal.
Brahmarandhra n’exerce aucune fonction sur les phénomènes vitaux mais il est source de cette aspiration vers le divin qui existe chez les êtres.
Brahmarandhra et muladhara sont les pôles de l’organisme pranique : l’un est Dieu, l’autre est matière. Lorsque le courant fluidique passe dans sushumna et les réunit, la Libération est réalisée.
Aucun bhuta ne correspond au brahmarandhra : les bhutas sont crées et Brahma est le créateur.
Le lotus correspondant dispose de milles pétales.

 

 

Les Nâdîs

 
Dans le corps subtil, la fonction des nâdîs est analogue à celle des vaisseaux sanguins pour le sang et des nerfs pour l’influx nerveux. Les nâdîs assurent donc la circulation et la distribution des fluides praniques (vayus) qui constituent la respiration et la nourriture du corps subtil.  Les fluides nourriciers sont puisés dans le milieu ambiant par un mécanisme solidaire de celui de la respiration physique.
Nâdî signifie « tube » ou « vaisseau », mais il s’agit bien là de vaisseaux fluidiques.
 
Trois nâdîs principaux servent d’armature au corps subtil et leurs noms sont empruntés à la nature des vayus qu’ils véhiculent :

  • Ida signifie en sanskrit : rafraîchissement, réconfort. C’est la voie de l’énergie froide, à gauche, féminine, lunaire, ascendante,
  • Pingala signifie en sanskrit : rougeâtre, brun, tanné. C’est la voie de droite, de l’énergie chaude, solaire, masculine, descendante,
  • Sushumna signifie en sanskrit : Bonne prière. Elle représente Sarasvatî dans le microcosme; on y fait monter l’apana vayu au moyen du mula bandha et sa rencontre avec le prana vayu provoque l’éveil de kundalini. 

 
La connaissance des propriétés des trois nâdîs est la base de la médecine ésotérique.
Toute perturbation de leur fonctionnement induit une perturbation dans le corps physique.
Ida et pingala s’ouvrent sur le milieu extérieur pranique en deux points correspondants à la narine droite pour pingala et à la narine gauche pour ida.
Les deux nadîs se croisent en formant un X au niveau de l’épiglotte (vishuddha chakra) puis au niveau d’anahata chakra, manipura chakra et svadhisthana chakra pour se rejoindre dans muladhara chakra.
A chaque entrecroisement, les nâdîs alimentent en prana le chakra, qui va l’assimiler et le transformer en prana spécifique.
La différence fondamentale entre le processus de respiration physique et celui de respiration subtile est que dans le cas physique, les deux narines absorbent le même air alors que dans le cas subtil, pingala et ida sont des organes sélectifs qui n’absorbent que du prana positif pour pingala et du prana négatif pour ida.
L’absorption subtile est également irrégulière et varie selon les heures du jour et de la nuit, entre autres.
Normalement, c’est l’absorption du prana positif qui domine, polarisant ainsi le corps subtil positivement.
Mais la prédominance positive est souvent plus forte pendant la jeunesse et décroît progressivement à mesure que l’on avance en âge. D’où les pratiques yoguiques (pranayama) qui visent à prolonger la jeunesse.
Notons que la polarisation positive du corps pranique correspond à une ionisation négative du corps physique.
En effet,  l’énergie positive des tantriques est apparentée à celle des électrons dont la charge est négative.
 

Sushumna

Pendant la vie fœtale, sushumna ne part pas de muladhara mais du manipura du fœtus qui est ainsi relié à la vie universelle par l’intermédiaire du muladhara de la mère. Au moment de la naissance, sushumna se détache du manipura de l’enfant pour se relier à son muladhara, marquant ainsi le début de la vie individuelle et la fin de la circulation du fluide universel.
Précisons que sushumna est en fait composée de trois nâdîs concentriques, ainsi décrits par Arthur Avalon :
« Dans le sushumna tâmasique d’un rouge ardent, se trouve le brillant vajra rajasique ou vajrini nâdî à l’intérieur duquel se trouve la pâle chitrâ ou chitrinî sattvique d’où tombe goutte à goutte le nectar. L’intérieur de chitrini nâdî est appelé Brahma nâdî, canal par lequel chemine kundalini lors de son réveil. »
 
Constant Kerneïz résume le rôle de sushumna en ces termes : 
« Sushumna réunit directement muladhara à brahmarandhra...Muladhara est en quelque sorte étranger au corps pranique individuel, il est une enclave de l’espèce sur le territoire de l’individu et il relie celui-ci, par l’intermédiaire de l’espèce, à la vie universelle de la création. Au pôle opposé de l’organisme subtil, le brahmarandhra représente une autre enclave : celle du créateur, celle de Brahma.
Sushumna établit un chemin de liaison entre ces deux pôles en traversant le corps subtil comme une route extraterritoriale qui réunirait deux états en en traversant un troisième. »
 

Huit autres principaux Nâdîs

Hormis les trois nâdîs principaux, huit autres nâdîs assurent la communication entre le milieu pranique intérieur et le milieu pranique extérieur. Leurs ouvertures sur l’extérieur correspondent à celles du corps grossier, autres que les narines :

  • Hastijivha et gandari partent de l’ajna chakra et aboutissent aux yeux : hastijivha à l’œil droit et gandari à l’œil gauche. Ce sont les organes de la vision sur le plan subtil. Mais alors que la vision sur le plan physique est uniquement réceptrice et passive, celle du plan pranique est également émettrice et active. La fonction de ces deux nâdîs est celle qui intervient dans les phénomènes de la transmission de pensée ou télépathie (spontanée ou provoquée).
  • Deux autres nâdîs partent d’ajna et aboutissent l’un, pura, à l’oreille droite, l’autre, yasasvini, à l’oreille gauche. Lorsque dans certaines conditions de posture et d’équilibre respiratoire, on obture les orifices physiques d’audition, le sens pranique subsiste seul et permet d’entendre le son intérieur, nada, qui inclut :
    • Le bruit des organes physiques,
    • Le son des organes subtils,
    • Puis les bruits du monde extérieur pranique,
    • Puis enfin, le son sacré AUM, synthèse symphonique de la vie universelle.
  • Alambusa est un nâdî qui part de vishuddha chakra et aboutit à la bouche ; il est à la fois passif (récepteur) et actif (émetteur). Il correspond aux sens physique du goût et de l’odorat.

Il accompagne la parole, conférant parfois les qualités d’orateur exceptionnel à certaines personnes en donnant aux paroles prononcées une puissance de suggestion indépendante des idées émises.

  • Kuhu et sankini dépendent de muladhara chakra et leurs ouvertures sur le corps physique correspondent à l’appareil uro-génital et à l’anus.

Les fonctions sexuelles dépendent de kuhu  (brahmacharya = rétention volontaire du spasme sexuel physique afin de le transposer sur un autre plan).

  • Damini a son origine dans le manipura chakra et correspond à l’ombilic. Après avoir joué un rôle très important pendant la vie fœtale, son rôle devient ensuite pratiquement nul. Son activité peut être réveillée par la pratique du hatha yoga. Il remplit le rôle d’un organe de vision interne permettant de percevoir directement le fonctionnement des corps subtil et grossier.

 
Hormis les dix nâdîs qui assurent la communication du corps pranique avec son milieu extérieur, il en existe beaucoup d’autres dont l’étude n’apporte que peu d’éléments pour la pratique du yoga.

 

Dosha : l’énergie pranique

 
Une fois assimilée par les chakras, l’énergie pranique devient organique et se distingue de celle du milieu extérieur. On l’appelle dosha.
Il y a autant de doshas que de formes d’énergies mais la physiologie du hatha yoga n’en retient que 3 :

  • Vayu.
  • Agni appelée pitta.
  • Ap appelée kapha.

 
Les dosha sont des aspects de l’énergie : shambbu.
Comme sur le plan grossier, l’énergie nécessite un « support » pour se manifester. Rayi est dans le monde pranique l’équivalent de la matière dans le monde grossier. Rayi est une substance fluidique dont sont formés les vayu qui circulent dans les nâdî. Leur nature est plus proche de celle d’ions gazeux que de celle des tissus physiques. Ces ions sont chargés de l’énergie pranique des dosha.
 

Dosha Vayu

Les ions du dosha vayu (énergie pranique organique) sont appelés pranadis et sont de cinq types :

  1. Udana pranadi
  2. Prana pranadi
  3. Samana pranadi
  4. Vyana pranadi
  5. Apana pranadi

 
Les pranadis suivent le processus suivant :

  1. Le prana pénètre dans l’organisme subtil par les nâdîs ida et pingala.
  2. Il rencontre un premier chakra : vishuddha.

Vishuddha transforme une partie du prana en udana pranadi
Deux nâdîs transportent alors l’udana pranadi de vishuddha à ajna chakra.
Udana joue un rôle analogue à celui de l’influx nerveux dans l’organisme grossier.
Ajna chakra et ses nâdî constituent le système nerveux pranique et sont en lien étroit avec le système nerveux physique.

  1. Le prana passe ensuite dans anahata chakra.

Une partie est arrêtée et transformée en prana pranadi, comparable au sang de l’organisme physique.
Les deux fonctions de prana pranadi correspondent à la respiration et la circulation.
Les exercices de pranayama exercent une action considérable sur prana pranadi, notamment en faisant varier sa polarisation (positive ou négative). Ils permettent de modifier la distribution du pranadi en l’accumulant ou le raréfiant dans certaines parties du corps pranique.

  1. Le prana arrive ensuite dans manipura chakra qui en transforme une partie en samana pranadi qui joue le rôle du système nerveux sympathique. Sa circulation entretient la vie végétative dans l’organisme pranique et ses fonctions sont solidaires de celles qui assurent l’assimilation des aliments par le tube digestif et l’élimination des toxines par le foie et les reins.

Le contrôle volontaire de la circulation du samana a une part importante dans les phénomènes d’auto guérison du hatha yoga parce qu’il donne la maîtrise consciente d’un grand nombre de processus vitaux inconscients. Il est l’agent de la vision introspective.

  1. Le parcours du prana passe ensuite dans svadhisthana chakra, qui le transforme en vyana pranadi.

Sa fonction correspond à celle de l’hématopoïétique (transformation de la lymphe en sang et formation des globules rouges).
Répandu dans tout le corps pranique, il en constitue la texture interne et le tégument périphérique (poils, épiderme, cheveux, ongles). Il épouse les contours du corps physique en les débordant plus ou moins (l’aura).
Il est l’agent du toucher pranique. L’extériorisation du vyana entraîne l’extériorisation de la sensibilité physique (expérience où on pique une photo).

  1. Au terme de sa course, le prana restant atteint le muladhara chakra et se transforme en apana pranadi.

Mais l’apport principal en apana pranadi provient des aliments ingérés par le corps grossier.
L’Apana est le prana le plus proche de la matière. Il est le domaine de la vie animale inférieure. La fonction reproductrice est du ressort d’apana.

 
Les dosha pitta et kapha n’ont pas de centre qui leur soient propres et sont localisés dans ceux que nous avons vus. Leur origine est intérieure et organique : ils sont produits et entretenus par un processus d’assimilation du corps subtil et circulent dans les mêmes nâdîs que les pranadis.
 
Pitta, l’élément igné transposé sur le plan pranique se présente sous cinq formes différentes :
 
Pachaka pitta : foyer central = manipura. C’est le « feu gastrique » : une chaleur produite par la transformation de fluides praniques et dont toutes les autres formes de pitta en sont dérivées.
 
Ranjaka pitta : localisé dans le svadhisthana chakra. C’est un fluide mixte qui résulte d’une combinaison avec le pranadi vyana. L’homologue de sa fonction sur le plan physique est l’hématopoïèse (formation des globules rouges).
 
Sadhaka pitta : localisé dans anahata chakra. Fluide mixte dont la fonction correspond à celle des influx nerveux qui assurent la circulation du sang dans le cœur et le système artéroveineux.
 
Alochaka pitta : localisé dans ajna chakra. Fluide qui constitue la lumière pranique et dont la correspondance sur le plan physique est la vision. Il est à noter que les entités praniques voient non pas au moyen de la lumière reçue de l’extérieur, mais de celle qu’elles produisent elles-mêmes.
 
Bhrajota Pitta : localisé dans aucun chakra mais disposé à la périphérie du corps pranique. Sa fonction est la régulation de la chaleur intérieure. C’est une sorte de cuirasse fluidique qui protège l’organisme subtil contre les rayonnements du milieu extérieur.
 
Kapha, l’élément liquide transposé sur le plan pranique, se présente également sous cinq formes.
 
 Kledaka kapha : localisé dans le manipura chakra et dont l’action ne peut s’exercer qu’avec le pachaka pitta, correspond aux fonctions de diastases digestives (suc gastrique).
 
Les quatre autres formes sont dérivées de kledaka :
 
Bodhaka kapha : localisé dans bodhaka chakra, une annexe du svadhisthana chakra, dont la correspondance se situe à la racine de la langue et à l’ouverture du pharynx. Sa fonction est liée au sens du goût  et de l’odorat et correspond à une absorption nasale et buccale. Son absorption est favorisée lorsqu’on mastique lentement nos aliments.
 
Abalambaka kapha : localisée dans anahata chakra. Ses fonctions complètent celles de sadhaka pitta et correspond à la régulation de la chaleur sanguine.
 
Tarpaka kapha : localisé dans vishuddha et ajna, ses fonctions correspondent principalement à l’audition. Le contrôle de ce kapha permet de percevoir les sons praniques mais également d’émettre et de diriger des images sonores qui ont un grand pouvoir de suggestion.
 
Slesmaka kapha : localisé dans aucun chakra, il représente la charpente fluidique du corps subtil. Il correspond au squelette sur le plan physique.
 
 
L’équilibre entre vayu, pitta et kapha est nécessaire au maintien de la santé pranique et, par solidarité, physique.
Les ruptures d’équilibre peuvent rentrer dans trois catégories : par pléthore, par carence ou par détérioration.
 

Nagadi

Les nagadi sont les fluides vitaux issus du naga, substance intermédiaire entre la matière et le prana. Tandis que l’apana représente la forme inférieure du prana, le naga représente la forme supérieure de la matière et il est le principal agent de la plupart des phénomènes médiumniques.
Il y a cinq nagadi auxquels les tantriques attribuent les réflexes de la vie végétative : naga (pris dans un sens restreint) se manifeste dans le hoquet, kurma dans le clignement des yeux, krikala dans les spasmes de la faim et devadatta dans le bâillement.
Le cinquième, dhananjaya, est quant à lui répandu dans tout l’organisme, comme vyana vayu.
Dhananjaya demeure après la mort et se décompose avec le cadavre. C’est à travers ce phénomène que l’on explique les pratiques de momification des Egyptiens : en empêchant  la décomposition du cadavre, on empêche également celle du dhananjaya. La mort est alors incomplète et une partie du prana demeure jointe au naga, donnant au défunt l’illusion de poursuivre son existence terrestre, grâce à une vie de sommeil peuplée de rêves.
 

Conclusion

Dans le Hatha-Vidya,  C. Kerneïz nous présente le corps subtil selon un angle qui se démarque des nombreux autres ouvrages traitant du même sujet. C’est ainsi qu’il met en perspective corps physique et corps subtil, nous éclairant ainsi sur l’intime imbrication de leurs fonctions respectives et repositionnant le rôle prépondérant du plan subtil sur le monde phénoménal.
Cette approche concrète fait partie intégrante de la science tantrique, la seule qui propose une méthode exceptionnelle permettant à chacun de pénétrer dans le monde de la Réalité Absolue grâce à une expérience personnelle directe, le yoga, qui vise à conscientiser et maîtriser chaque élément du corps subtil.

 
 
Lara C.
AOUT 2009
 
Bibliographie
« Le Hatha-Vidya »  C.Kerneïz
« La puissance du serpent » A.Avalon
« Corps subtil et corps causal » Tara Michaël
« Héritage du sanskrit - Dictionnaire sanskrit français » Gérard Huet