Une série autour des postures du lotus et du paon

Cet enchaînement, que nous avons nommé padmayurasana, s'adresse plutôt à des yogis avisés à
l’aise dans ces deux postures mais elle peut également intéresser un cercle plus large de pratiquants
qui voudraient par la suite élaborer d’autres séquences de pratique personnelle. Elle est inspirée
par le natha yoga tel qu'il est enseigné par Christian Tikhomiroff. Le principe est de s’intérioriser
dans l'axe central de sushumna et de faire remonter progressivement l’énergie et la conscience de
centre en centre, depuis le chakra racine jusqu'à ajna chakra.

Le lotus (padmasana) et le paon (mayurasana)

Traditionnellement, il est dit qu'il existe dans le hatha yoga 84 postures principales qui peuvent
se décliner en 84 000. Ce nombre symbolique exprime la variété des attitudes corporelles qui peuvent être
expérimentées par le yogi dans sa recherche d'unité et qui renvoient à différents aspects de la
manifestation (objets, végétaux, animaux, voire humains). Mais la plupart des traités de hatha yoga
mentionnent un nombre limité d'asana et il est parfois indiqué que parmi ceux-ci le yogi n'en gardera que
quelques-uns voire un seul dans sa pratique personnelle. Cette sélection naturelle dans les asana qui
s'opère peu à peu dans la pratique régulière du yogi s'accompagne en général de davantage
d'improvisation, de spontanéité, de créativité. Après avoir pratiqué en suivant des instructions précises,
des modèles, des cadres, on en vient à une pratique plus personnelle et plus intuitive. Dans cette
démarche, chacun peut trouver ses propres façons de faire avec les différents anga, ses propres
enchaînements de postures, de souffles, de mudra, etc. Nous partageons ici une série qui s'articule autour
de deux postures : le lotus et le paon.

Les effets de la posture du lotus, padmasana

Padmasana est souvent considéré comme la reine des postures dans la mesure où elle induit une
configuration énergétique particulièrement favorable. Dans cette assise, les souffles du soleil et de la lune,
qui entretiennent la dualité, ont tendance à s'harmoniser, à s'équilibrer, voire à se suspendre, ce qui
ramène l’énergie dans le canal central (sushumna nadi). Ces effets sont déjà présents dans le lotus
classique (mukta padmasana, le lotus libre), surtout si on appuie bien les talons sur les aines (voir photo
n°1).

Padmasana

Padmasana photo n°1

Mais ils s’amplifient davantage encore dans la posture liée (badha padmasana) qui consiste à
attraper les gros orteils en croisant les bras par derrière. Padmasana permet également de stimuler,
d’harmoniser et d’équilibrer les trois granthi, les trois nœuds de l’existence présents en tout un chacun
(Brahma granthi dans la base, Vishnu granthi dans le cœur et Rudra granthi dans le front). La posture du
lotus est utilisée pour la méditation, la concentration, le pranayama, les mudra et toute technique se
pratiquant dans l’assise. Mais padmasana est également intégré dans certaines asana, il permet ainsi
d’expérimenter des variantes qui induisent des effets énergétiques plus précis ou plus puissants. Nous en
présentons quelques-unes à la suite.

Mayurasana, la posture du paon

Mayurasana la posture du paon en lotus

Mayurasana photo n°2

Contrairement à padmasana qui peut se garder pendant des heures, mayurasana, la posture du
paon, se tient au plus quelques minutes. En effet, au bout d'une poignée de secondes déjà, on peut
ressentir les effets puissants de cette posture au niveau physique mais surtout au niveau énergétique : ida
et pingala sont neutralisées et l'énergie se recentre dans sushumna nadi. Cette posture peut être exécutée
avec les jambes tendues, mais c'est la version en lotus qui nous intéresse ici[1] (voir photo n°2). Dans
cette posture on doit tenir mula bandha (l'anus contracté), khechari mudra (la langue retournée et appuyée
contre le palais) et le regard très intense sur un point devant qui peut être matérialisé par une flamme. On
fera circuler le souffle dans l’axe en rajoutant éventuellement des arrêts à poumons pleins. Une façon
d’intensifier la pratique est de faire des arrêts à poumons vides en rajoutant uddiyana bandha (le ventre
rétracté).

Voyons maintenant comment relier les postures du lotus et du paon

Une première pratique consiste, lors d'une séance méditative, à prendre mayurasana pendant
quelques secondes tous les quarts d'heure ou à chaque fois que pointe l'agitation, la dispersion. Durant
cette méditation, on ne quitte pas le lotus, que ce soit en assise ou dans la posture du paon. Il est
également possible d'enchaîner plus ou moins rapidement une série de postures en padmasana visant à
activer l'énergie dans les différents chakras, en intercalant toujours quelques instants mayurasana pour
bien maintenir l'énergie dans l'axe.

On commencera toujours dans l'assise du lotus. Si on a le temps, on pourra pratiquer d'abord
nadi shodana, le souffle alterné[2] ou bien bhastrika (le soufflet de forge), en faisant circuler le souffle et
la conscience dans la sushumna. Ensuite, on passera quelques secondes dans mayurasana en lotus, puis on
reviendra en assise et l’on se relira à muladhara chakra, le centre racine, en visualisant le lotus à quatre
pétales dans la base. On placera un puissant mula bandha pour activer l’énergie dans cette zone. On
continuera en effectuant une série de mahaveda mudra. Ce terme signifie littéralement le geste de la
grande perforation ou de la grande libération. Pour réaliser cet exercice, partir dans la posture du lotus
bien fermé si possible, avec mula bandha très serré, kechari mudra, un léger uddiyana bandha, le petit
jalandhara bandha (le menton rétracté mais sans baisser la tête) et nasagra drishti (le regard en
convergence sur le bout du nez). Puis inspirer et rester à poumons pleins, en s’appuyant sur les mains ou
sur les poings fermés placés sur les côtés, surélever le corps de 5 à 10 centimètres et le laisser retomber au
sol (voir photo n°3). Au moment de l'impact, lorsque les fessiers touchent le sol, il faut faire ashvini
mudra (contracter le rectum vers le haut) et remonter le regard en shambhavi mudra (convergence
oculaire vers le haut) en disant mentalement le bija KRIM ou KSHAM et en ressentant un flux d'énergie
qui remonte dans l'axe à partir du centre racine.

Mahaveda mudra

Mahaveda mudra

Faire ainsi trois ou quatre impacts en arrêt de souffle et au
dernier impact expirer de façon coordonnée avec tout le reste. Cette pratique vise à éveiller l’énergie
endormie dans le centre racine, mais dans un premier temps elle représente surtout un travail de
synchronisation des différents éléments. Elle pourra amener une sensation d’unité en même temps qu’un
plus grand ressenti de l’axe central de la shushumna qui sera ainsi stimulé, magnétisé. Mahaveda apporte
puissance, stabilité et joie.

Une variante de cette première phase est de remplacer la grande perforation par
la pratique de lolasana (posture du frémissement ou de la balance) pour ceux qui la connaissent.

padma bhujanghasana

photo n°4 padma bhujanghasana

Après mahaveda, demeurer un moment en padmasana puis passer un petit instant dans
mayurasana.

Prendre la posture du cobra en lotus (voir photo n°4). Cette variante du cobra, padma
bhujangasana, est plus difficile à prendre que la version classique avec les jambes tendues, de ce fait, la
cambrure sera moindre mais les effets énergétiques seront plus puissants et plus précis au niveau de
svadhistana chakra et muladhara chakra. Elle agit puissamment sur toute cette zone et elle est réputée
pour favoriser l'éveil de l'énergie endormie. Elle active le feu de la base en le faisant remonter dans
sushumna. Le feu du ventre et le feu des yeux sont ainsi également stimulés. Rester dans la posture
quelques instants en localisant le souffle dans la zone base-pubis avec éventuellement des arrêts de
souffle à poumons pleins (antar kumbhaka). Mettre beaucoup de puissance dans le regard en fixant un
point à l'horizontal. Dans un second temps on peut relever la tête et maintenir le regard vers le haut.
Bhujangasana, en développant l'énergie vitale, amène force, stabilité, endurance et confiance en soi.
Puis repasser un instant dans padmasana et mayurasana de la même façon que précédemment,
avant de venir activer le troisième centre d'énergie avec la posture du lion. Toujours en lotus, en appui sur
les genoux et sur les mains, avec les reins bien cambrés, sortir la langue au maximum en touchant si
possible le menton et placer le regard en convergence en nasagra drishti (voir photo n°5). Inspirer par le
nez en amenant le souffle et l'énergie dans le ventre (manipura chakra). Rester en arrêt à poumons pleins
avec le son RAM en ressentant que l'on vient connecter des énergies furieuses, puis expirer par la bouche
de façon appuyée en maintenant la langue et le regard immobiles. Le souffle ainsi expulsé peut
progressivement devenir un grognement de fauve voire un rugissement de lion, mais il ne faut pas lâcher
la langue, le regard ainsi que mula bandha.

simhasana posture du lyon

photo n°5 simhasana posture du lyon

Il sera éventuellement possible de monter en puissance en
rajoutant une phase en dynamique avec bhastrika coordonné avec un mouvement du corps du type flexion
du chat en accéléré, puis un arrêt à poumons pleins avec l'énergie qui pousse dans le ventre, suivi d'une
expiration / rugissement et d'un arrêt à poumons vides avec uddiyana bandha en plus des autres mudra
avant de repartir en bhastrika. Cette pratique qui stimule non seulement les énergies du ventre, mais aussi
différents points du feu comme la base et le regard, permet de se relier aux énergies animales, féroces,
violentes, qui sont en nous, afin de les faire remonter en les extériorisant. La pratique du lion, en
canalisant ces énergies, permet d’apaiser la colère, l’agressivité ; elle donne force, puissance, confiance en
soi et amène un bel apaisement du mental.

Passer ensuite de nouveau dans padmasana et mayurasana un petit instant et enchaîner par
urdhva padmasana, le lotus redressé.

urdhva padmasana le lotus relevé

photo n°6 urdhva padmasana le lotus relevé

Dans la version aboutie, cet asana consiste à rester en équilibre sur
les genoux avec les mains jointes devant le cœur, anjali mudra (voir photo n°6). Mais cette phase finale
est très difficile à maintenir.

On commencera donc par s'appuyer alternativement sur un index et puis sur
l'autre[3] en essayant de trouver l'équilibre sur les genoux (voir photo n°7).

urdhva padmasana

photo n°7 urdhva padmasana

Il faut garder khechari mudra
et mula bandha qui amènent plus de stabilité et impulsent la verticalité. On en viendra progressivement à
redresser le corps en espaçant l’appui sur les index et en essayant de demeurer quelques secondes en équilibre les bras relevés tendus à l’horizontale ou même les mains ramenées en anjali mudra. On pourra
également rester dans la posture redressée, les yeux fermés, en appuyant une main contre un mur et
l’autre main en jnana mudra, bras tendu vers le bas (voir photo n°8).

urdhva padmasana

Photo n°8 urdhva padmasana

Dans cette attitude on placera le
souffle dans le cœur sur un rythme 1-4-2 (1 temps à l’inspiration, 4 temps à poumons pleins, 2 temps à
l’expiration) pendant quelques minutes. Il n’est pas besoin de tenir la posture finale en équilibre pour
bénéficier de ces effets, le simple fait de s’y entraîner dans ces deux versions permet déjà d’en recueillir
des bienfaits. Urdhva padmasana a un impact puissant sur anahata chakra, qui est relié de façon intime au souffle et à l’équilibre. Ce centre d’énergie qui est souvent le siège d’agitation et de turbulence psycho-
émotionnelles, est purifié par cette posture qui amène plus de recul et de stabilité. Si le chakra du cœur n'est pas complètement pacifié, il n'est pas possible de tenir la posture finale. Cependant s’entraîner à la
posture développe la patience, l’endurance et l’humilité, en même temps qu’elle permet d’installer
progressivement l’immobilité, la verticalité et l’intériorité dans l’équilibre. Finalement urdhva padmasana
est une grande posture pour favoriser les qualités sattviques en soi-même.
Après un temps d'observation en lotus, on passe de nouveau dans mayurasana un petit moment.
La posture suivante qui va activer vishuddha chakra est matsyasana, la posture du poisson, mais on
pourrait également pratiquer padma sarvangasana (la chandelle en lotus).

padma matsyasana poisson en lotus

photo n°9 padma matsyasana

Dans padma matsyasana (voir
photo n°9), le corps est en appui sur les fesses, sur le haut du crâne et sur les coudes. Il est recommandé
d'attraper les gros orteils (padangustadhara) avec les index pour accentuer la flexion lombaire et activer
l'énergie du feu. On peut fixer un point en arrière avec le regard ou bien fermer les yeux et s'intérioriser
dans le centre de la gorge avec un souffle 1-4-2. Bien sûr dans cette posture il faut également maintenir
mula bandha et khechari mudra. Matsyasana produit un effet puissant sur vishuddha chakra, elle active
udana vayu en subtilisant le souffle. Le rythme respiratoire se fait avec beaucoup moins d’air que dans une posture où la gorge n’est pas étirée, il peut laisser place au bout d’un moment à un nirvritti (non-
souffle ou pur souffle énergétique).

Après le poisson, repasser encore une fois dans padmasana et mayurasana avant de prendre la
posture sur la tête, shirshasana, toujours en lotus (voir photo n°10).

 

À ce stade, il faudra sans doute pour
la première fois défaire un peu le lotus le temps de prendre la posture sur la tête où l'on croisera à nouveau
les jambes en padmasana. En effet, il est très difficile, voire dangereux, de prendre shirshasana dans la
posture du lotus. Dans cette attitude inversée, on restera bien sûr centré dans ajna chakra avec un souffle
subtil et le mantra OM. Shirshasana dispute à padmasana le qualificatif de « reine des postures », padma
shirshasana est donc une belle façon de terminer cette série. Elle est réputée dans les textes traditionnels
pour produire des effets extraordinaires tant sur le plan physique que spirituel[4]. Shirshasana permet
d'une certaine façon de s'extraire de l'ordre du monde ; inverser le corps permet d'inverser sa perspective
et peut aider à inverser des tendances ou situations sur lesquelles on n'aurait pas prise. Ajna chakra est
puissamment stimulé par cette posture quelque soit la variante. Dans padma shirshasana la sensation de la
verticalité est moindre par apport à la version avec les jambes tendues, mais l’énergie s'en trouve
davantage condensée dans les chakra supérieurs.
Après shirshasana, demeurer un petit instant dans la posture du diamant (vajrasana) les yeux clos.
Puis passe éventuellement une dernière fois dans mayurasana avant de conclure en méditation dans
padmasana.

Il est possible d'effectuer cette série dans sa totalité plus ou moins rapidement en mettant
éventuellement l'accent sur une des phases. On peut également la fractionner en effectuant une posture
chaque jour précédée de mayurasana et suivie de padmasana. Dans ce cas, il est possible d'effectuer la
série complète le 7ième jour. Bien sûr cet enchaînement n’est qu'une trame qui peut être modifiée avec de
nombreuses variantes ou inspirer d'autres enchaînements basés sur une logique énergétique plus que
physiologique.

[1]Mayurasana a été présentée de façon détaillée dans un précédent article – voir Info Yoga n° 29, octobre 2000 ou sur le site
de l'école de yoga horizons : https://www.yoga-horizon.fr/mayurasana-le-paon/
[2]Nadishodana pranayama a été présentée de façon détaillée dans un précédent article – voir Info Yoga n°105, janvier 2016
ou sur https://www.yoga-horizon.fr/nadishodana-pranayama/
[3] Les index sont les doigts qui sont reliés au chakra du coeur.
[4] Shirshasana a été présentée de façon détaillée dans un précédent article – voir Info Yoga n°32, avril 2001

 

Khristophe Lanier

Publié dans InfosYoga n°118/ Eté 2018

 

 

 

 

 

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