Au terme de la création est apparu l’œuf de sagesse. En son cœur, la vie s’ébranle et prend forme. Kurma – la jeune tortue – brise sa coquille et émerge face au jour naissant, vaillante et intrépide. En son plastron, elle est médiane du ciel et de la terre ; sa carapace soutient le monde et renferme les sens.
Kurma, comme propulsée par sa destinée, s’élance vers l’immensité de l’océan. Elle brave les dangers terrestres avant de trouver refuge dans les premières vagues. Juste sous la surface de l’eau, à la lisière du visible et de l’invisible, Kurma se meut, d’une détermination paisible et sûre, et explore l’horizon qui s’étend sous la mer. En brasse large et régulière, elle traverse les périls et les turbulences de l’existence.
Puis plongeant vers le fond, Kurma disparaît dans les eaux troubles et vaseuses. C’est un autre monde, habité du grondement sourd et millénaire des entrailles de la mer. Kurma se retire, comme en suspension, dans la fraîcheur des profondeurs, et sonde les formes qui apparaissent en clair-obscur : les aspirations vives et bigarrées ; les angoisses larvées, le sifflet de la mort, les appétits rôdants et gémissants… Elle distingue aussi la lueur qui apporte sa compréhension, éclaire et élève l’esprit . Alors Kurma se redresse et pique vers la surface, nimbée de force et du halo de sa prescience.
Elle reprend sa nage, comme une envolée paisible et inexorable, toujours plus avant. À sa guise, elle pénètre de temps à autre les abîmes, explore les mille possibilités qui miroitent leur conscience sur son passage. Dans cette existence en voyage, tout se crée et s’illumine d’instant en instant, infiniment… Kurma s’imbibe d’éternité, sage de sa lumière intérieure.