C'est quelque chose d'un lent processus-cheminement de discussion intérieure, sans début ni fin, une sorte d'infusion, qui m'a amené sur cette piste des haïkus. Le haïku est un objet poétique qui m'a longtemps désarmé : court à l'extrême, analogue à l'exercice d'un peintre qui s'arrêterait au premier coup de pinceau.
Il esquisse, il pressent. Pourtant il n'est pas une non-pensée, c'est un genre subtil, construit sur une économie remarquable, cohérente avec l'idée même du yoga (travail sur le souffle, la tenue, l'union) : descriptifs, artificiellement abrupts d'un certain point de vue, ils évoquent puissamment la continuité, ils se focalisent sur la saveur, sur l'adhésion intérieure à ce qui déroule, jusqu'à la dilution du sujet.
Voici donc le fruit d'un début de chantier qui va durer longtemps. Certains haïkus ne sont pas encore des haikus formellement, ils sont une sorte d'étape, inachevés autant que peut l'être mon confort et ma réussite dans la posture qu'il décrit. Cohérence donc. Certains portent même davantage la souffrance à prendre la posture que l'effet ou l'état ultime poursuivi par celle-ci (pour peu que l'on cherche réellement un effet ou un état). Dans certains cas plusieurs textes apparaissent pour une même posture, traduisant déjà plusieurs étapes franchies, ou bien l'indécision qui est mienne, suivant les moments, sur le regard que je porte ou le ressenti que je nourris vis-à-vis d'une posture donnée.
La salutation au soleil (Suryanamaskar)
1) Saluer le soleil. Sa distance et sa chaleur à la fois. Sa dimension magique dont on peut admettre, sans sourciller, par exception inconséquente, l'excroissance qualificative de "divine", car on sait qu'il est affecté de la même finitude, somme toute, que la nôtre. Modeste puissant soleil. Déjà loin, il partira.
Tant qu'il est là saluer en lui sa part (fut-elle sans intention) à tout ce qui nous entoure, son panache visible de tous, ce point de ralliement, peut-être encore plus fort justement du fait de son manque d'intention propre.
2) Donner du chaud à notre corps comme s'il nous en saisissait toutes les facettes pour les animer.
3) Je salue la lumière intérieure, la lumière extérieure, tout ce en quoi elles se font écho dans l'accomplissement et le chaos sans fin.
4) Le je fondu, le je refondé, il importe peu que tout soit mirage.
La pince (paschimottanasana)
(pince classique)
1) Une tension intense comme seul reliquat du corps. Relique. De l'être. L'enveloppe enserre l'air, l'image de ce que l'on brasse. Les pouces sur les orteils enfin, refermés, un circuit complet, la prédation de soi.
2) Ce que l'on saisit en soi, cohérent et tenu, précis, comme une fleur fraichement cueillie du bout des doigts; la rosée.
Le chameau (ushtrasana)
1) Le désert. Pour sa stabilité et ses dunes vaguelettes en même temps. Le chameau qui dans le chaos de son pas irradie sous le soleil de constance et d'horizontalité. Son confort. Dur et tenu, absolu, solide et refermé le souffle court dans la chaleur. Le corps cambré défiant la sécheresse. L'eau ne lui manquera pas. Le temps qui passe doucement comme un à un les grains de sable du désert. Le temps qui coule pour seule eau.
2) Le chameau, stable vaisseau, face au ciel au sable infini; il médite quelques instants son avancée, sourit, et reprend sa marche immobile, le temps pour seule eau roulant sa bosse.
Le lion (simhasana)
1) Accroché face au vide à impressionner (sa peur qu'il conjure en fureur). Paralysé théâtralement face à la menace qu'il menace : il exprime sa capacité à agir la violence. Nuque fulminante en nuage. Langage fleuri par bouquet, jusqu'à s'assécher la langue, assécher le champ, savane sèche.
2) Le lion fixe, nuque fulminante, rien d'autre au monde que sa colère dirigée, sans prétexte, juste l'expression de sa puissance, de la colère qu'il sait agir; assèche la langue, assèche le champ, assèche sa colère.
Le corbeau (kakasana)
Le corbeau retourne le champ, pantin tête en terre; s'envole comme collé, peine à se libérer de l'étreinte.
La barque (navasana)
1) Hisse-toi à bord, accroche-toi avec toute ta tripaille, meli-mélo d'étoupe étanche et enflammée, ancre-toi, un œil sur la hune de misaine; tiens bon, le confort est une question de temps.
2) La mer dans son mouvement, lisse comme la terre, emporte le navire dont les voiles ne cherchent plus le vent; dans la cale les tambours ardents.
La tortue (Kurmasana)
1) Se replie se cale s'apaise sous la carapace, mains pieds tête se retrouvent lentement dans la paix, la fraicheur; prêt au renouveau, l'évolution suivante.
2) Dans l'élan elle se replie, s'apaise, recouvre les âges et l'instant présent; la fraicheur d'une légère hibernation, à l'abri solide; en elle continue son lent cheminement, prêt à reprendre quand il sera temps.
Le cadavre (Shavasana)
L'espace contient mon corps, tout circule comme en lui, sans rien, une part de l'espace indifférenciée, une dissolution, je lâche tout et tout me lâche.
Les crocodiles (makarasana)
Langueur sereine, oscillant dans le clapotis, un geste prend furtivement le dessus, se maintient un temps, en mémoire de l'élan, et fond pour retrouver la langueur initiale.
L'arbre (vrikshasana)
1) Si j'avais su j'aurais mieux poussé mes branches, pas grandit si haut, j'aurais cherché la proximité d'un mur ou l'écran de mes frères plutôt que cette grande prairie rase où je brave le vent.
2) L'axe et l'équilibre pour seule vocation; et pourtant tout l'expose; il s'enracine à mesure, frissonne et fléchit de moins en moins, jusqu'à casser.
3) Je suis un arbre un fleur je me pose et prends racine un temps
et rien d'autre ne m'importe même si je rêve des graines futures
La tête de vache (gomukhasana)
Un instant elle oublie sa rumination; impavide elle contemple, cornes dressées, le monde comme s'il n'était rien.
La grenouille (mandukasana)
Sur une feuille de nénuphar, plaquée, le buste dressé comme seul signe d'un bond possible, le regard empreint d'une acuité totalement neutre.
Le paon (mayurasana)
Il a derrière lui la puissance du ciel, la régularité des nuages et des rayons de soleil, il en est la clé de voûte affichée et indiscutée.
La chaise (utkatasana)
2) La chaise attend, exactement conforme à son plan et à sa destination, elle attend, lutte contre la déformation de l'attente, du poids qu'elle va recevoir, éternellement, et qui ne sera que le sien; l'assise comme attente éternelle de l'assis sans rassir.
Les guetteurs (caturanga dandasana)
Tu n'es qu'un regard, une direction droit devant, à laquelle tu pourrais tout à fait te réduire s'il n'y avait la souffrance, ton endurance à la souffrance, pour seul rappel de toi-même; peut-être guetté toi-même par ailleurs.
Le cobra (bujangasana)
Raide comme la mort, redressé comme la vie, il fixe cet intervalle comme sur une certitude eternelle.
Barattage abdominal (Nauli)
1) Surgir du marais en décomposition, s'élever en geiser fixe et puissant, une colonne d'évacuation urgente pour éviter l'ulcère.
2) Laisser pousser l'arbre dans un souffle ardent, gras, comme une digestion directement consommée, s'évanouir en ramification et partir avec les oiseaux.
Lotus (padmasana)
Faire un de ses racines, autant de pétales que de possibles.
Urdhva padmasana
1) Un phénomène d'oubli dresse le lotus sur sa tige, l'emmène dans un équilibre d'homme debout, dans ses chutes lourdes.
Le grand singe (Hanumanasana)
1) La tension la traction la décision: Avancé ancré.
2) À l'arbre se suspend, pas un vent, l'idée suspendue d'un balancement, l'élan attendu vers la branche suivante
La posture sans tête (Rundasana)
Genoux et pieds couchés à terre, tête repliée entre les cuisses, bras couchés à l'opposés des mollets
L'archer (akarnadhanurasana)
L'archer sans proie à suivre est tout à lui; fixe l'idée de décocher jouissive suspendue comme une étoile, sa cible éternellement atteinte.
Posture sur la tête (sirshasana)
1) Le monde retourné sans crier garde; et un besoin d'aspirine
2) Les racines frappent à la porte; de bois celle-ci germe celles-ci entrent, tout est à refaire
Pranayama
Brahmarin (l'abeille)
S'éveille en moi la ruche et simultanément à l'intérieur le bourdonnement de l'abeille, puis d'autres abeilles autour, beaucoup de miel coule; quand j'ouvre les yeux je vois dix ruches et les abeilles, disparues.
Thomas P
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