Nous présentons un extrait du Pèlerinage aux sources de Lanza del Vasto. Un bel hommage à Shiva, le principe destructeur et régénérateur dans la tradition indienne.
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J’entre dans le sanctuaire à l’heure de la solitude, alors que midi écrase les mendiants
dans le sommeil à l’ombre des portiques.
Même mon fidèle m’a quitté pour trouver dans les terrains vagues un mol oreiller de
poussière qui soit à sa convenance.
Je gagne la salle d’où, le soir, partent les processions. La lumière n’y pénètre que par des
soupiraux au ras du plafond dallé de granit comme le pavé. Le sceptre de Shiv, colonne
de bronze doré plantée en terre, passe par le trou du toit et porte dans le ciel le taureau
d’or massif qu’on ne voit pas d’ici, et qui fait face aux toitures lamées d’or de la suprême
cella du temple, du Saint-des-Saints.
Il faut quelque temps pour que l’œil se ranime à l’ombre et que les statues se dessinent
qui ornent les piliers, et quelque temps encore pour que leur signification s’éclaire.
Voici, encadrant l’entrée de part et d’autre, une effigie de Shiv dépassant de trois fois la
mesure d’un homme. Son pas dansant enjambe un vaste espace, le moulinet de bras qui
l’environne jette des éclairs de lames, sa moustache flamboie, ses sourcils font des
fusées, le couronnement de son chef un incendie.
En face paraît une figure, féminine sans doute, puisque la taille en est dénouée, les
membres ronds et chargés d’ornements ; le sein gauche émerge : un sein de femme. Mais
le sein droit reste lisse : c’est la cuirasse de muscles des guerriers. Les deux côtés de la
face divisée par le long biseau du nez se montrent inégaux et contradictoires. C’est encore
Shiv le double, le disjoint, l’ambigu que la seule beauté recompose et la sérénité
victorieuse du sourire.
Le voici de nouveau dansant et menaçant. Un de ses bras fiche une longue lance dans la
gorge d’un petit être aux membres emmêlés : Yoeme le Seigneur de la mort. A la main de
Yoeme pend encore le filet qui fait le tour du socle et enlace un enfant implorant : Shiv le
Destructeur détruit la Destruction : c’est le protecteur des affligés, le Sauveur.
Shiv s’avance ici sur un chariot pareil à ceux que tout le peuple traîne dans les fêtes
solennelles. La lune et le soleil font les roues du chariot de Shiv, le chariot figure la terre
décorée de tous les animaux qui enrichissent la terre. L’arc que le dieu brandit, c’est
Vishnou lui-même, et la flèche Brahma. Mais la Lune, le Soleil et la Terre se sont dit :
« Sans nous comment Shiv remportera-t-il la victoire ? »
Alors Shiv a souri. Et telle la puissance de ce sourire que le chariot s’est avancé de lui-
même sur ses roues d’astres, l’arc s’est courbé comme le bœuf entre l’aiguillon et le joug,
la flèche est partie en volant.
Shiv de sa flèche vise le pilier d’en face où se trouvent figurées en bas-relief les trois
cités : la cité de fer, la cité d’argent et la cité d’or, habitées par les démons du ventre, par
les démons du cœur, par les démons de la tête. Et il détruira les trois cités et les démons
qui les habitent : il est le destructeur des ténèbres, du désir et de l’illusion ; il est le Prince
des Yoguis.
Plus loin il enseigne, assis sur la montagne, le rosaire à la main gauche, la droite levée
« dans la pose de l’argumentation », ses disciples réunis devant ses jambes croisées. Et
plus loin il repose et joue, son épouse, petite, assise sur son genou.
Car il s’est marié, le Prince des Ascètes, tandis que ses dévots les yoguis s’adonnent à la
chasteté et au vagabondage. Il s’est marié comme les Rishis védiques se mariaient... Et
sans doute pratiquaient-ils les rites de l’amour charnel, comme une manière d’exercice
ascétique... Et Shiv, étant dieu, parvient, sans tomber, au terme de ce chemin périlleux.
Le mariage de Shiv occupe le centre de la salle. La jeune épouse, sœur de Vishnou, se
tient entre les deux grands dieux, menue et bien tournée. Sa taille semble plier sous le
poids des seins, beaux fruits offerts à l’amour. Le bonheur rit sur son visage, frissonne à
ses épaules, joue dans ses doigts, le bonheur de l’abandon et du triomphe. Le bonheur de
donner rayonne sur le visage de Vishnou. En signe de don il verse l’eau d’une petite
aiguière. L’eau s’enroule en bague autour des doigts des trois divinités, les lie de son
cordon tremblant. Shiv aussi sourit, mais du bout des lèvres et presque avec dédain. C’est
par condescendance aux vœux et prières du monde qu’il s’incline à ces noces, son
bonheur et son achèvement se trouvent ailleurs. Les trois figures sont taillées dans la
même pierre ainsi que le socle et la frise des musiciens et de la foule en liesse qui
prennent part à l’union divine. De cette union sont nés le sanctuaire et la ville, les princes
et le peuple de Madoura.
Je découvre au plus fort de l’ombre une dernière apparence de Shiv. Il se dresse à plat
contre le pilastre, la tête s’enfonçant à moitié dans la pierre du chapiteau, les pieds dans la
pierre de la base. Un esprit sublime sous la forme d’un oiseau s’élance à la recherche de
la tête du dieu, et un esprit fouilleur en forme de crapaud plonge, afin de découvrir le fond
sur quoi les pieds reposent. Mais ni l’un ni l’autre n’a trouvé la fin de Dieu et ils reviennent
au bas du pilastre, en forme humaine, côte à côte, implorant, les mains jointes.
Mais si quelque chose du dieu réside dans chacune de ces images faites à l’image de
l’homme, le dieu lui-même ne se présente tout entier qu’en un corps sans visage.
C’est, dans l’antre le plus ténébreux du temple, le plus étroit et le plus nu, dans la chambre
sans fenêtre où ne pénètrent que les seuls Brahmanes, c’est là qu’il se tient debout,
solennel et puissamment présent, dans le jet d’un colossal membre viril en érection. Le
phallus est de pierre et toujours oint de beurre fondant. Autour de lui s’enroulent les
guirlandes et s’entassent les fleurs riches, douces, suffocantes, comme une chair
amoureuse.
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Ce grand diable de dieu, ce protecteur plus redoutable que Saran, enroulé de cobras et
décoré de crânes, rayonnant d’armes effroyables, bondissant dans des cercles de feu,
piétinant la créature atterrée,
Dansant et s’ébaudissant dans la panique et les désastres,
Maître de soi dans l’orgie et dans l’extase,
Bandé comme un arc pour le sourire ou la pitié,
La gorge bleue d’avoir bu le venin du Grand Serpent qui faillit empoisonner le monde,
Lui, le Bon Pasteur, le Maître du Troupeau,
Du troupeau des géants, des vampires et des goules, des esprits rôdeurs qui hantent les
bûchers funéraires et le vent de la nuit, des voleurs, des mendiants et des fakirs errants
qui contrefont les fous,
Lui, incompréhensible et contradictoire comme l’homme,
Inexplicable, irréfutable aussi, comme la bête vivante,
Extravagant et serein comme les âges,
Inexorable et farouche comme la vie et plein de grâce comme la mort,
Noir et flambant comme le sexe,
Quel nom a-t-il, dites, quel nom a-t-il ce grand diable de dieu ?
Il s’appelle Shiv : « Le-Plaisant ».
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Nous sommes loin du Bouddha méditant sous les pacifiques ombrages
d’Anourâdhâpoura. Entre l’un, établi dans l’immobilité de la vérité conquise et le vide
immaculé du Nirvâne, et l’autre, roi de la danse, de la fureur, et du rut, s’ouvre un abîme.
Leur sourire même marque le point culminant de leur dissemblance, celui de l’un
imperceptible comme le bord blanc d’un pétale de lotus appuyé sur la blancheur du pétale
prochain, celui de l’autre pareil au fil des fortes lames. Shiv et Bouddha se sont disputés la
même terre, la terre sacrée de l’Inde. Shiv a vaincu Bouddha : il l’a chassé de sa terre
natale, il l’a chassé vers le Tibet glacé, la Chine plate et vers les molles îles. Ici, Shiv
règne seul.
Seul c'est-à-dire en compagnie des autres dieux, suprêmes, des autres Dieux Uniques, de
Vishnou et de Brahma, suprêmes, comme lui, uniques comme lui et non pas plus
différents de lui que les multiples formes sous lesquelles il lui plait de batifoler lui-même.
Bouddha s’est porté tout entier à la plus haute cime de l’esprit.
Mais est-on totalement parfait quand on n’est rien autre que parfait ?
Celui-là qui s’est porté tout entier à la plus haute cime, Shiv dépasse celui-là : il le
dépasse par-dessous.
Shiv est sublime, mais Shiv est profond autant qu’il est sublime.
Ce que Bouddha oublie et laisse derrière soi, Shiv le ramasse et le retient.
Ce que Bouddha repousse et nie, Shiv l’affirme et l’exalte : pour le détruire.
Tandis que Bouddha se délivre dans la lumière de la cime, Shiv, gambadant et riant, va
ramoner l’enfer, racle la terre, éperonne les vivants, chatouille sous les bras les
paresseux, pique au derrière les hypocrites, souffle le turban du superbe, arrache sa robe
au bégueule et sa bourse à l’avare, fait crouler leur maison sur ceux qui se disputent,
allume la guerre dans les empires pourris, distribue la douleur selon les justices du
hasard, filtre les troubles et trempe au feu les vertus, et sur nous tous répand la mort
comme le signal du retour et l’ombre renversée de la Délivrance universelle.
*
Shiv n’est qu’un surnom : son vrai nom, d’ailleurs oublié, c’est Roudre. Roudre aux
cheveux rouges apparait dans les hymnes védiques au milieu du tonnerre et des éclairs,
ébranlant et dévastant la terre, à la tête des Marouts aux chevaux galopants.
Il ne figurait alors que comme un vaillant chef de bande parmi les dieux. Il a fait sa fortune
dans les ruines. Il est devenu roi des rois et dieu des dieux.
Au temps que Shiv n’était que Roudre il y avait quelqu’un qui attirait à soi plus d’hymnes
que tous les dieux réunis : c’était Ag-ni, le Feu du Sacrifice.
De fait Ag-ni réunissait en soi tous les dieux puisqu’il détenait leur bouche commune, la
bouche et la langue de feu par lesquelles ils dévorent la victime et goûtent l’offrande.
Mais Roudre, c’est plutôt le libre feu qui descend des nuées comme il lui plaît, enflamme
un arbre au bord de la route, tue un homme et passe. Il est caché partout puisqu’on le tire
d’une pierre frappée ou des bâtons qu’on frotte.
Il veille dans les foyers, il fait cuire les aliments. Il protège des fauves ceux qui se perdent
la nuit dans la forêt. Il éclaire la chambre et incite aux jeux d’amour les jeunes époux.
Terrible ou familier, il tient tous les fils de la vie.
Il monte par-dessus la tête de Varoune et d’Indre son ancien maître ; il gagne le soleil et
les étoiles qui sont les demeures du feu ; et ce feu brillant est le même, entendez bien, le
même que celui qui brûle au cœur de l’homme et c’est pourquoi les secrets du destin sont
inscrits dans les signes célestes.
Mais Shiv, un jour inventa un nouveau feu pour le mettre au cœur des hommes : le feu de
l’ascèse. Il devint ce jour-là vainqueur d’Ag-ni et le seigneur des dieux.
Ce n’est pas une chèvre, ce n’est pas un cheval que l’ascète immole et brûle au feu de
Shiv, ce n’est pas un peu de riz ou de sésame ni du beurre clarifié qu’il verse dans la
flamme ; mais c’est le souffle de sa gorge, c’est la parole de sa bouche, ce sont les
mouvements de ses membres, les attachements de son cœur, les ornements de sa
pensée, toutes ses forces et toutes les heures de sa vie. Le sacrifice véritable de tout
l’homme est capable d’arracher sa grâce au Dieu de Vérité.
Celui qui présente son offrande devant Ag-ni peut sans doute obtenir des dieux tous les
biens de ce monde, mais celui qui se donne au sacrifice intérieur rejette les biens de ce
monde, se passe des dieux et les dépasse.
Un ascète peut même devenir menaçant pour les dieux par ses macérations qui lui
assureraient le pouvoir de leur prendre leur trône, si toutefois il voulait se détourner de son
but qui est de se délivrer du bien comme du mal et de toute condition, même divine.
Voilà comment, en face des Brahmanes qui prennent femme et tiennent maison, qui
sacrifient sur l’autel familial et dans les temples, se lève la grande, étrange famille des
enfants de Shiv qui vivent seuls ou par bandes dans les forêts et dans les grottes et ne
connaissent d’autre temple que leur corps de l’homme qu’ils détruisent et rebâtissent de
leur vivant.
La robe du moine rougeoie : il va tout revêtu du feu de Shiv. Ou bien il va, comme son
maître, « vêtu d’air », c’est-à-dire tout nu, le corps frotté de cendres.
Parfois, sa chevelure roussie au henné lui enveloppe le chef d’un feu flambant tandis que
dans la cendre de la face ses yeux luisent comme des tisons.
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Il a fallu le culte de ce dieu féroce et phallique pour introduire deux éléments dans la vie
religieuse des Hindous : la pitié tendre et la chasteté
Les hymnes védiques qui représentent la tradition la plus ancienne ne montrent rien de tel.
Il s’y trouve la solennelle glorification des grands dieux en leur splendeur orageuse ou
solaire. On demande aux dieux, quand ils sont bienveillants, longue vie et nombreuse
progéniture, moissons abondantes et troupeaux prospères ; quand ils sont terribles, de
l’être aux ennemis et d’épargner ceux qui les glorifient. Il s’y trouve des chants dialogués,
ébauches de drame, des énigmes philosophiques, des formules pour faire pousser les
cheveux ou pour réduire la résistance d’une belle.
C’est vers le VIème siècle de notre ère, parmi les Shivaites du Sud, que s’est levé un
souffle mystique comparable à celui qui faisait trembler, pleurer, chanter le bienheureux
Raymond Lull et saint François d’Assise. C’est devant ce dieu hérissé de glaives que, pour
la première fois, le cœur du dévot a fondu, non de frayeur, mais de tendresse, et que
l’hymne a jailli comme une intime et livre effusion de l’adorateur à l’adresse de l’Adoré.
Le célibat n’est plus en honneur chez les saints des temps védiques que chez les
patriarches et prophètes de la Bible. Il devient une règle rigoureuse pour les Yoguis de
Shiv. Et pour les Shaktes, du moins je crois, comme pour les autres.
Les Shaktes sont les zélateurs de la Shoekti, c’est-à-dire de la Puissance. La puissance
de Shiv n’est autre que son épouse. Les Shaktes adorent donc la déesse, puisque c’est
par l’intermédiaire de la Déesse que Shiv se manifeste au monde et opère sur lui.
La Shoekti n’est pas seulement une des déesses qui habitent ce temple et dont on sait les
noms et les histoires, des épouses de Shiv qui sont peut-être les diverses formes d’une
seule épouse, mais c’est encore toutes les divinités féminines et même toutes les femmes
et toutes les vaches, qui ne sont certainement que les formes d’une seule grande Mère
des Dieux, des hommes et de toutes les créatures. Les Shaktes finissent par ne voir la
divinité que sous la forme féminine et maternelle, Dieu se retirant pour eux dans le ciel de
l’abstraction.
Ce que les Shaktes veulent obtenir de la Puissance, c’est la puissance, c’est-dire les
pouvoirs magiques. Ils sont les bouilleurs de philtres, les préparateurs d’amulettes, les
maîtres de l’incantation, les guérisseurs et faiseurs de miracles.
Leurs livres saints sont les Tantres. Les orientalistes affirment presque unanimement qu’ils
se livrent à des cultes orgiaques. Je penche à croire qu’il s’agit là d’une méprise.
Même si l’on nous apprend que le maître qui soumet ses disciples aux épreuves du Tantre
offre à leur contemplation l’attribut du sexe qui n’est point le leur ; qu’il leur en donne une
image vive et capable de provoquer le trouble ; même si l’on nous apprend que cet objet
n’est pas peint ni sculpté, mais fait de chair vivante et présenté tel quel ; et non pas
seulement exposé aux regards, mais excité, tendu et en pleine fonction, et qu’on ajoute
que le disciple se tient là, tout nu sous les yeux de son maître, encore ne nous aura-t-on
pas démontré qu’il s’agit d’une orgie.
Les Bacchanales, les libérales, les saturnales, les phallophories étaient des orgies
sacrées, leur sens paraît clair : honorer les sources de la génération et du débordement.
Le Sabbat des Sorciers était une orgie et même une orgie sacrée : le but de ceux qui s’y
livraient ne prête pas au doute : c’était de satisfaire en une fête l’instinct jusque-là
contraint, maudit et réduit au secret, et, du même coup, de venger cet instinct contre ceux
qui le maudissent, en contrefaisant leurs rites de manière obscène et ridicule.
Les pratiques du Tantre au contraire ont pour effet de dominer l’instinct ou plutôt de
prouver que cette domination est un fait accompli. Le disciple nu sous les yeux de son
maître, il ne saurait s’abandonner au trouble du spectacle sans que son corps – s’il est
homme du moins – en donnât des signes évidents et honteux.
De même que les Derviches hurleurs ou tourneurs, loin de chercher à s’étourdir de leurs
cris et de leur danse, atteignent, par le comble du bruit et de l’agitation, à l’entière
possession et jouissance du silence et de l’immobilité intérieure, de même le Shakte, en
s’adonnant à ce que le profane appelle ses orgies, obtient la purification.
Le principe fondamental du Tantre répond à la formule suivante : les actes qui sont
péchés parce qu’ils enfoncent l’homme dans l’attachement et l’ignorance, ces mêmes
actes, accomplis solennellement sous la direction vigilante d’un maître, conduisent le
même homme à la délivrance et à l’illumination.
Rien de plus subtil et de plus profond qu’une telle pensée ; rien de plus dangereux et de
plus efficace qu’une telle méthode.
Le Shakte tend à la puissance magique. Or la puissance magique n’est autre que la
puissance génitale, détournée de sa voie naturelle et appliquée à une action séductrice
sur la substance des choses. C’est pourquoi il ne saurait forfaire à chasteté. Pour les
autres moines, la règle de la continence est rigoureusement sans exception.
* *
D’ailleurs rien ne prête moins à la débauche que les cultes phalliques. Dans la mesure où
le sexe est sacré, il se trouve voué au sacrifice.
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Lingam veut dire Signe et Lingam veut dire Phallus. C’est la clef magique. Devant lui,
toute forme s’ouvre comme une porte.
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Le feu qui monte dans ces bûchers que sont les porches extérieurs du temple, chargés de
leur pyramide où tous les ordres de la création s’étagent, s’embrouillent et s’embrassent,
Le feu qui rampe sur la pierre des cours pavées que midi frappe,
Le feu qui sur les bassins verts glisse comme un serpent,
Le feu qui flambe dans la robe d’un moine vagabond,
Le feu qui brûle dans le bronze de toutes ces figures dansantes, le feu qui tourbillonne
avec les mille membres, ses mille têtes, ses mille lames,
Le feu s’arrête enfin au cœur du sanctuaire, là dans la froide, fixe, sombre foudre du
Lingam.
Lanza Del Vasto, Le Pèlerinage aux sources, Paris, Gallimard, 2014 (première édition 1943).