Une discipline exigeante

     Le musicien est un être paradoxal, il vise un idéal immatériel, mais il ne peut essayer de l’atteindre qu’à travers une pleine maîtrise du geste. La réalisation spirituelle qui est l’essence même de sa visée, passe nécessairement par une médiation physique sans faille. Tous les instrumentistes savent le prix de cette maîtrise, et le cursus du futur musicien professionnel est semé d’épreuves, aux deux sens du terme. Les concours sanctionnent impitoyablement la moindre approximation, et les élèves des conservatoires supérieurs doivent se soumettre à un entraînement rigoureux. Les méthodes traditionnelles de l’apprentissage passent trop souvent par la simple répétition du geste, dans une logique de dressage, ce qui ne doit cependant pas faire oublier que de nombreux musiciens se sont élevés contre ces conceptions mécaniques. L’objectif est de dominer son corps pour lui faire produire le résultat souhaité sans le moindre risque d’erreur, ce qui impose chaque jour des heures d’exercice. Quant au concertiste, on sait à quelles contraintes de travail technique est soumise la poursuite de sa carrière. Le musicien vit constamment avec ce corps paradoxal qu’il faut maîtriser pour pouvoir l’oublier, ce corps qui n’est jamais une étape qu’on pourrait dépasser puisqu’on ne peut l’oublier que quand il obéit à la perfection, et qu’il se réalise comme instrument d’un spirituel qui n’existe pas sans lui.

Yoga et musique, les points communs et les différences

     Le corps du musicien est donc un peu comme celui du yogi, qui, lui, cherche, à travers sa maîtrise, à réaliser l’harmonie intérieure, tandis que le musicien objective une harmonie musicale. La virtuosité gestuelle du yogi peut se comparer à celle du musicien qui vise l’effet au moyen du déploiement de la technique.

     Il y a pourtant plus qu’un parallèle entre yoga et musique, une possible complémentarité, dont de nombreux musiciens ont depuis longtemps pris conscience. En effet, cette lourde contrainte physique qui pèse sur le musicien a de graves effets toxiques qui parasitent la vie de nombre d’artistes. On connaît évidemment le problème du trac, qui n’est pas une forme de timidité devant le public, mais un vertige dû à la conscience de la difficulté de l’exercice. On connaît beaucoup moins les pathologies directement induites par la pratique musicale, sujet souvent tabou dans le monde même des musiciens. Il y a d’abord tous les problèmes liés à la disposition du corps du musicien, aux organes qui travaillent et qui peuvent souffrir, comme les doigts ou le dos du pianiste, quand il joue. C’est là qu’apparaît la grande différence entre le musicien et le yogi : le musicien se bat contre son corps pour le forcer à obéir, au lieu de se battre avec lui pour réaliser une harmonie. Le corps du musicien est souvent vécu comme un obstacle plutôt que comme un organe, et il répond à ce forçage par diverses pathologies, dont une des plus redoutables est la fameuse «  crampe  » du musicien, ainsi nommée par analogie avec la crampe de l’écrivain, mais qui n’a strictement rien d’une crampe, puisqu’il s’agit d’un organe qui ne répond plus à la commande  : le doigt du pianiste se recroqueville et ne peut plus fonctionner, la langue du flûtiste se bloque etc. On appelle cela aujourd’hui dystonie de fonction. C’est une pathologie qui détruit la carrière d’un musicien, qui voit son corps ne plus pouvoir lui obéir, mais dans le strict cadre de sa relation à l’instrument, puisque par ailleurs, la main du pianiste, s’il s’agit d’un pianiste, fonctionne tout à fait, et ne trahit en rien le refus du clavier qui en touche un ou deux doigts. La célèbre «  crampe  » de Schumann, qui l’éloigne définitivement de la carrière de concertiste, en est sans doute le cas le plus connu, mais, de nos jours, plusieurs instrumentistes brillants ont vu leur carrière brisée par cette affection. Certains ont pu surmonter l’obstacle après une longue prise en charge, d’autres non.

Le yoga au service des musiciens

     Ces pathologies sont mieux reconnues aujourd’hui, mais il serait sans doute urgent de les prévenir, et, pour cela, de les comprendre. L’instrumentiste doit, s’il veut éviter de voir ce corps lui échapper en le faisant souffrir et en refusant de lui obéir, chercher à s’harmoniser avec son corps, à en rendre le plus possible conscients les gestes, les postures et les commandes, pour pouvoir l’écouter et mieux le diriger. Quelle que soit l’aptitude du musicien à son instrument – aptitude qui est une condition nécessaire à l’épanouissement musical – l’instrument n’est jamais totalement naturel  : il y a toujours un moment où il faut forcer sur une position, une articulation, une réponse neuro-musculaire. Et la réponse du corps n’est pas toujours celle qu’on espérait, il lui arrive de dire non, de refuser la commande, et de bloquer le processus d’exécution en causant des douleurs ou, plus perfidement, en parasitant les commandes.

     De plus, les doigts du pianiste ne fournissent pas du tout le même travail que ceux du flûtiste, les lèvres du flûtiste ne sont pas du tout sollicitées sur le même mode que celles du clarinettiste et celles du trompettiste, la respiration et la colonne d’air du hautboïste ne sont pas du tout identiques à celles du flûtiste. Quant aux instruments à cordes, ils donnent à la main droite une fonction entièrement différente de celle de la main gauche. L’instrumentiste doit donc isoler les commandes très précises dont il a besoin, et savoir maîtriser parfaitement des gestes complexes et coordonnés, qu’on n’accomplit jamais dans la vie ordinaire. Sa performance est une performance intérieure de parfaite maîtrise d’un geste qui ne brille ni par sa force ni par son ampleur, mais par une micro-précision absolue.

     Seule une pleine conscience du corps, développée par l’écoute de soi et le travail qui, en isolant les commandes neuro-musculaires, permet de dépasser les automatismes et les réflexes naturels, donne une réelle maîtrise non seulement du geste, mais du circuit de commande qui permet de l’exécuter. C’est ici, on l’a compris, qu’apparaît tout l’intérêt du yoga pour les musiciens. Il ne s’agit pas seulement de détente, de bien-être ou de décontraction, mais d’une entreprise de reprogrammation de soi, grâce à laquelle, habitant pleinement son corps, l’instrumentiste sent ce qu’il peut lui demander et comment le lui demander.

     Le musicien est une sorte de yogi qui s’ignore, mais qui gagnerait à se connaître.

     Développer la conscience du geste, et intégrer le mouvement dans la totalité du corps, permet au musicien de vivre son rapport à l’instrument sur un mode plus harmonieux. Le yoga est précisément ce qui permet à l’esprit d’habiter le corps, et ainsi, réduit ce dualisme douloureux qui nous déchire entre la mécanique du corps et la spiritualité de l’âme. Cette unité visée par le yoga peut faire naître la musique à l’intérieur même du geste dans la conscience du corps,  et faire que le corps ne soit plus l’obstacle à vaincre mais l’acteur même de la musique. Le musicien doit d’abord s’incarner pour s’approcher de la musique, même la plus éthérée.

Fanny Montagnon

 

 

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