Que l’on soit croyant ou non, je pense que le sentiment de complétude n’existe pas. L’homme est à jamais insatisfait, il lui est donc naturel d’aller vers plus de savoir, plus de mieux être. C’est cette insatisfaction fondamentale de l’être humain qui est la préoccupation centrale de tous les systèmes philosophiques et religieux. Trouver un remède, c’est entrer dans une voie intellectuelle ou symbolique.

La recherche philosophique

La recherche d’un mieux être passe par un développement de la connaissance de la nature des choses qui nous entoure, de la connaissance de soi, et aussi du fonctionnement de notre esprit. La philosophie répond entièrement à cette demande en nous transmettant les enseignements de diverses écoles de pensées. J’entends ici par philosophie, celle qui est liée à un cheminement personnel, et qui ne s’éloigne pas de ses racines amoureuses de la sagesse. Car aujourd’hui il est facile de se perdre dans des dissertations absconses ou futiles qui n’apportent pas grand-chose si ce n’est de l’argumentation. Il faut que la philosophie soit écrite dans un langage accessible et qu’elle soit un support à l’introspection. Ainsi en l’étudiant, puis en la digérant, la philosophie pourra apporter un réel confort psychique.

J’ai toujours pensé que l’exigence était un préalable à tous chemins propédeutiques, et que nul ne pouvait envisager une progression stable sans effectuer un travail de qualité. Qualité de l’introspection, qualité de l’analyse et du raisonnement, qualité des relations humaines, qualité d’ouverture, qualité d’abandon... Mais cela demande un réel effort qui s’inscrit dans la durée. Ma recherche personnelle m’a amené à côtoyer la tradition occidentale grecque, et plus particulièrement l’école stoïcienne car elle est éminemment concrète, personnelle et exigeante. Elle m’a aussi conduit vers la tradition du hatha yoga, car elle offre un cheminement très méthodique de la connaissance de soi, de surcroît très différent des systèmes auxquels nous sommes habitué.

Le yoga est une discipline vaste et il est intéressant de voir que tous les ouvrages s’essaient à fournir une définition et que celles-ci sont très différentes les unes des autres. Certaines mettent l’accent sur la santé, la forme, d’autres sur la psychologie, l’énergie, la spiritualité. Toutes ces définitions abordent un aspect du yoga et sont valables pour ceux qui pratiquent cet aspect. Elle est donc subjective et ne peut pas être prise pour absolue. Par contre, en puisant directement dans les textes traditionnels, il est facile d’observer que tous s’accordent sur une seule définition. Exprimé par Patanjali cela donne : « Le yoga est l’apaisement complet de toute activité mentale ». Cependant, pour comprendre réellement ce propos, il faut être familiarisé avec la tradition et la pratique du yoga. Cette discipline est souvent considérée comme un ensemble de techniques relaxantes, douces, elle n’en  pas moins une école de sagesse, et donc une école exigeant une introspection approfondie.

Le yoga et la philosophie grecque : deux approches à la fois intellectuelles et symboliques

Tous les systèmes philosophies possèdent deux formes de langages, une forme intellectuelle, rationnelle, et une forme plus abstraite, symbolique. Ces deux formes font appel à deux méthodes distinctes de compréhension qui sont parallèles. Elles sont souvent dressées l’une contre l’autre, comme si, ne pouvant se passer l’une de l’autre, elles étaient naturellement opposées. Le propos symbolique sera vite renversé par un argumentaire rationnel bien ficelé, et ce même argumentaire pourrait bien être méprisé par une simple évocation d’une allégorie clairvoyante. Il me semble que le langage rationnel est communément intégré en chacun de nous alors que le symbolisme est très souvent mal compris.

Le yoga et la philosophie grecque ont une approche rationnelle et symbolique auxquelles il s’agit d’être sensible. Cependant, je peux dire grossièrement que les grecs m’ont plutôt initié à la rigueur rationnelle, alors que le yoga m’a ouvert au discours symbolique. Ceci est totalement personnel et n’est valable qu’à l’instant même où j’écris ces lignes. Il n’y a aucune vérité à déduire de cela.

Epictète enseigne à ses disciples : « Qu’est-ce qui lui insufflait ce courage ? La gloire, la fortune, le pouvoir ? Non, sa propre force, c'est-à-dire ses jugements sur ce qui dépend de lui et ce qui n’en dépend pas. Cela seul rend les hommes libres et sans entraves, fait relever la tête aux humiliés et permet de regarder les riches et les tyrans droit dans les yeux. Voilà le cadeau de la philosophie.»

Et Abhinavagupta explique : « Le système enseigne qu’on atteint le véritable et ultime sujet en menant l’investigation d'une impression de bleu, de plaisir, etc. Très clairement manifestée à la conscience, jusqu’aux sources de la connaissance : le but dernier de toute prise de conscience déterminée est le repos dans sa propre essence, le Soi. C’est là l’expérience du Je en sa liberté ».

Ces deux citations ne pénètrent pas dans notre esprit de la même façon. Elles ne peuvent être comprises par le même processus. Je pense que lors de toute recherche philosophique approfondie il est nécessaire d’être familiarisé avec ces deux méthodes de compréhension faussement antinomiques, mais au combien complémentaires. La compréhension d’un concept par une voie doit toujours être au service de l’autre voie.

La rationalité

La lecture des philosophes grecs m’a donc initié à l’exploration de la pensée. Celle-ci se construit avec un postulat de départ (intuition, observation) à partir duquel on doit cheminer intellectuellement, approfondir, pour qualifier d’avantage mais aussi pour vérifier sa réalité. Pour satisfaire notre mental, le raisonnement doit suivre une certaine logique. Il n’est pas possible de soutenir une thèse, puis d’argumenter avec des éléments qui n’ont pas de liens les uns avec les autres. Il est intéressant de lire les œuvres de Platon, pour se rendre compte de la puissance de cette logique. A travers une forme dialoguée, Socrate cherche à montrer que les arguments qui lui sont présentés, s’ils paraissent acceptables d’un premier abord, lorsqu’ils sont approfondis deviennent incohérents voire contradictoires. Ainsi le premier enseignement que j’ai tiré de la philosophie grecque est presque mathématique, puisqu’il est le respect de la logique pure.

L’école stoïcienne nous transmet un modèle de sagesse construit par la raison et la volonté. Epictète enseigne à ses disciples : « Établissez-vous de nouvelles habitudes : affermissez vos idées, exercez-vous à les clarifier. ». Et puis Sénèque nous indique : « Tout ce qui peut te rendre bon est en ta possession. Que faut-il faire pour le devenir : le vouloir. » Ces deux citations sont emblématiques d’un enseignement stoïcien extrêmement exigent. Cette voie est liée à une pratique personnelle visant le plus haut degré de vertu. Vertu physique, vertu éthique et vertu logique. Rigueur, volonté, humilité, liberté, courage, équanimité, connaissance de la réalité, sont les ingrédients que les disciples doivent intégrer progressivement à leurs personnalités pour qu’ils puissent développer cette vertu et accéder à une véritable paix intérieure.

Nous retrouvons le même principe d’enseignement dans le yoga traditionnel de Patanjali avec les yama, traduits par "refrènements", et les niyama, traduits par "disciplines". Ces pratiques s’inscrivent dans une démarche assidue de méditation analytique, rationnelle, afin d’intégrer ces concepts, et voir où cela nous mène dans un rapport à soi, et dans un rapport au monde extérieur.

Les concepts sont au nombre de cinq pour les yama :

Ahimsa, la non-violence,

Satya, la véracité, 

Asteya, l’honnêteté,

Brahmacharya, la maîtrise sexuelle,

Aparigraha, la pauvreté.

 

Et il y a cinq niyama :

Shauca, la pureté,

Samtosha le contentement,

Tapas, l’austérité,

Svâdhyayâ, l’étude et le développement de soi,

Ishavara pranidhâna, l’abandon au principe suprême.

 

Les méditations sur ces différents éléments doivent mener le yogi à une libération psychologique qui le conduit à plus de liberté vis-à-vis du cadre sociétal, mais aussi de ses propres conditionnements.

Ces enseignements, stoïciens et yogiques, sont très austères et quasi monastiques. Mais à mon échelle, ce qui est intéressant c’est qu’ils soient présents à mon esprit et qu’ils m’aident à trouver des solutions pour surpasser dans une attitude la plus digne possible, les obstacles du quotidien. Je peux dire que les avoir auprès de soi est source d’un extrême réconfort.

Le symbolisme

Le symbole est une représentation analogique, perceptible, d’une chose ou d’une idée. Il fait appel à l’imaginaire conscient ou inconscient afin d’éveiller des perceptions. Il est dit parfois que le langage symbolique est incompréhensible, obscur, hermétique. Hermétique dans le sens où le concept transmit ne peut pas être compris par tout le monde mais seulement par les disciples présents. Le langage symbolique serait ésotérique.

La recherche philosophique inclut la métaphysique, y compris comme moyen de développement personnel.  Nous ne pouvons échapper à la relation que nous avons au monde. Celui-ci est infini et suscite en nous un nombre infini de questions qui se transforment vite en tourments. C’est pourquoi nous avons un besoin vital d’avoir une représentation clairement définie voire finie de notre univers. Cette représentation a la vertu d’être rassurante, apaisante, et libérera notre esprit de ces tourments inutiles pour qu’il puisse se consacrer plus efficacement aux autres recherches. Pour toutes ces questions liées à la nature du monde (cosmogonie), la nature de l’être (ontologiques), la nature de l’âme, de Dieu ou du divin (théologie), les philosophes, métaphysiciens ou ésotéristes, utilisent un langage symbolique car ces sujets dépassent toutes les réalités observables scientifiquement.

C’est par la liaison corps – esprit que le hatha yoga m’a initié à l’expression symbolique. En effet il définit une structure symbolique extrêmement riche liée à la connaissance du corps et de l’esprit. Les yogis ont au fil des âges dessiné une anatomie subtile très précise désignant des ressentis sensitifs et émotionnels. Ces différentes observations ont été répertoriées puis nommées. Même si elles sont souvent traduites par "énergie', terme beaucoup trop réducteur pour conserver la précision d’origine, le travail de classification à été extrêmement rigoureux et précis. Comment transmettre un savoir de cette nature, perçu exclusivement intérieurement, seulement avec un discours analytique ? Certes nous avons tous le même corps et l’on peut établir une description objective, scientifique de celui-ci. Mais qu’en est-il des perceptions intérieures ? Si elles sont de même nature, sont-elles perçues de façon identique ?

Tout d’abord nous ne portons pas la même attention à tout ce qui nous arrive, ainsi le ressenti se développe en nous différemment. Ensuite les différents exercices de Yoga, exécutés avec assiduité, permettent de développer ce ressenti pour qu’il soit affiné et précisé, plus qu’il ne peut l’être habituellement. Ainsi petit à petit il est possible de découvrir un sens aux propos suivant extrait du Goraksha Shataka :

« Comment un yogi qui ne connaît pas les six cakras, les seize supports, les 300 000 nâdîs et les cinq fourreaux et leur corps, peut-il atteindre la perfection ? » et aussi « Comment un yogi qui ne connaît pas son propre corps comme une maison ayant une colonne, neuf portes, et cinq énergies divines majeures peut-il atteindre la perfection ? ».

Non pas un sens théorique, mais issus d’une expérience sensitive particulière. Et puis notre ressenti est subjectif, nous ne ressentons pas les choses de la même manière, peut-être pas avec la même intensité ; et peut-être nous ne mettrions pas les mêmes mots pour qualifier les mêmes phénomènes intérieurs. Seuls les symboles peuvent jouer ce rôle.

Cette transmission ne peut s’effectuer que dans un cadre précis, initiatique. Initiatique car l’idée n’est pas de transmettre une théorie ontologique dépourvue d’expérimentation, mais de faire surgir par la pratique en chacun de nous, de façon sensitive et intuitive ce qui est exprimé symboliquement. Les propos symboliques se font ainsi accompagnateurs d’une pratique concrète.

Le hatha yoga m’a ainsi initié au langage symbolique en utilisant les liaisons corps – esprit. Je perçois bien dans cette façon de s’exprimer une puissance différente du langage rationnel, non supérieure mais complémentaire. Elle fait appel à une méthode de compréhension qui n’est pas analytique, mais plutôt intuitive ou sensitive, et qui était, chez moi, relativement atrophié. Être attentif à cette nouvelle dimension crée une ouverture d’ordre psychologique très intéressante. Cette ouverture permet une interprétation des propos métaphysiques ou religieux plus raffinée, et surtout n’étant plus en opposition avec la raison.

Cependant certains propos ésotériques ou religieux sont des aberrations intellectuelles. Je pense que la méprise vient surtout du fait qu’à un moment donné, les propos symboliques sont interprétés dans la sphère rationnelle et sont transmis tel quels. Ainsi le sens réel d’origine est perdu, cela engendre la croyance, ou la confusion. L’enseignement rationnel grec m’a appris à garder la tête sur les épaules, à confronter les points de vue, à être rigoureux intellectuellement parlant. Cela me protège de certaines divagations extravagantes, mais cela est aussi un frein à l’ouverture psychologique qui peut être provoquée par un discours symbolique pertinent. Tout est d’affaire de dosage, et comme nous conseille le Bouddha, extrémiste de rien, il nous faut suivre la voie du juste milieu.

À notre époque où plus que jamais les cultures voyagent, il faut profiter de cette chance qui nous est offerte pour flâner au travers des différentes traditions et trouver ce qui résonne en nous. Et même si bien souvent la rationalité et le symbolisme semblent s’opposer, il faut les lier l’un à l’autre pour qu’ils puissent évoluer ensemble. Plotin, fondateur de la pensée néo-platonicienne, propose de guider l’âme de ses disciples sur le chemin d’une ascèse qui doit le conduire à s’unir au principe de toute chose qu’il appelle « l’intellect », il nous dit : « Celui qui veut dépasser l’intelligence sans passer par elle risque fort de retomber infiniment au dessous. »

 

Pierre-Alexandre MONIN

 

 

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02 / 2008

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